J’étais en proie à une sorte d’hallucination ; j’étouffais ; il me fallait de l’air. Machinalement, je m’éventai avec la feuille de papier, dont le verso et le recto se présentèrent successivement à mes regards. Quelle fut ma surprise, quand, dans l’une de ces voltes rapides, au moment où le verso se tournait vers moi, je crus voir apparaître des mots parfaitement lisibles, des mots latins, entre autres " craterem " et " terrestre " ! Soudain une lueur se fit dans mon esprit ; ces seuls indices me firent entrevoir la vérité ; j’avais découvert la loi du chiffre.
Il s’agit du premier des nombreux rêves et hallucinations que va connaître Axel. Ces petites escapades sont à la fois un procédé narratif et un moyen d’accéder à la connaissance et la sagesse. Ici, l’hallucination d’Axel lui permet de décrypter le code qui rendra possible son voyage au centre de la Terre. Plus tard, son rêve le plus important l’emmènera jusqu’aux origines de la vie sur Terre, à travers tous les stades d’évolution des plantes, des animaux et de la géologie. Les rêves peuvent éclairer ce qui est obscur, tant dans les livres de Verne que dans la psychologie moderne. Ils nous permettent d’accéder à des vérités qui nous sont habituellement cachées.
[Graüben] me donnait les raisons les plus sensées en faveur de notre expédition.
Graüben est un personnage qui déçoit tous les amateurs de protagonistes féminins forts. Elle est silencieuse, timide, adorable et optimiste. Elle est considérée comme quelqu’un d’intelligent mais elle n’est que l’assistante de Lidenbrock et Axel. Son arc narratif se limite à soutenir un héros masculin dans sa quête. Graüben représente aussi une sorte de récompense pour Axel lorsqu’il revient chez lui. Ce personnage, tout comme celui de Marthe, une cuisinière mère de 19 enfants et épouse du recteur, est un exemple parfait de la représentation des femmes au 19e siècle.
Dans la disposition nerveuse où je me trouvais, je m’attendais à voir l’ombre d’Hamlet errant sur la terrasse légendaire.
Verne fait ici référence à l’une des œuvres les plus connues de la littérature, Hamlet, de Shakespeare. Surtout, l’histoire met en scène des fantômes, des enterrements, des rêves, et s’intéresse à ce qui constitue la nature même de l’être humain. Hamlet est un personnage torturé, à la recherche de la vérité, tout comme Lidenbrock est un personnage complexe, brillant et courant derrière sa propre vérité scientifique.
Ce personnage grave, flegmatique et silencieux, se nommait Hans Bjelke ; il venait à la recommandation de M. Fridriksson. C’était notre futur guide. Ses manières contrastaient singulièrement avec celles de mon oncle.
Hans est extrêmement important dans ce roman. Axel passe un certain temps à décrire son guide, et le fait pour d’excellentes raisons. En effet, Hans sauve la vie d'Axel et de Lidenbrock à maintes reprises, et dégage un sentiment d’endurance, de stoïcisme et de constance. Il se démarque donc de ce groupe de voyageurs composé d’un jeune homme anxieux ainsi d’un aîné excentrique et grandiloquent. Hans est décrit de telle façon qu'il paraît presque surhumain. Ses attributs sont, en réalité, presque fantaisistes. William Butcher souligne, dans sa préface, que Hans " manifeste peu de sentiments humains ; et bien qu'extrêmement ingénieux, il n’est pas créatif… il est dépourvu de cette étincelle vitale : même être touché par une foudre en boule ne suffirait à insuffler la vie à cet être parfait ". En somme, c' est un cas psychologique intéressant, comme une expérience des extrêmes.
Ces apparitions n’étaient pas de nature à égayer le paysage qui devenait profondément triste ; les dernières touffes d’herbes venaient mourir sous nos pieds.
Cette scène du lépreux errant dans la campagne est l’une des plus effrayantes du texte. Il semble préfigurer le voyage mystérieux et dangereux qui s’annonce, voire même l’inquiétant voyageur souterrain que les personnages rencontreront par la suite. Il représente aussi le fait que le sens de la vie humaine, ou du moins ceux que les personnages lui trouvent, est difficile à saisir. Les seules personnes qu’ils voient après le lépreux sont le recteur et sa femme, d’autres personnes avec lesquelles les protagonistes ont eu de points communs.
Rien de plus capiteux que cette attraction de l’abîme. J’allais tomber. Une main me retint. Celle de Hans.
Verne préfigure ici la phrase connue de Nietzsche, qui écrit que si l’homme regarde trop longtemps l’abîme, alors l’abîme le regarde aussi. Si cette phrase du roman a été écrite plusieurs dizaines d’années plus tôt, les deux passages se ressemblent beaucoup. Axel regarde l’abîme du cratère et s’apprête à tomber, tant il est fasciné. C’est une métaphore du voyage en lui-même, qui menace de perturber l’équilibre mental d’Axel et même sa santé physique. Il tente d’affronter ses peurs et d’être courageux, mais va parfois trop loin, jusqu’au désespoir.
Nous voici arrivés à cette période pendant laquelle ont apparu les premières plantes et les premiers animaux !
Ce voyage au centre de la terre n’est pas que spatial, il est aussi temporel. Les voyageurs trouvent bien plus que des stalactites, de la lave, de l’eau et du charbon, ce qui permet à Verne d'instruire le lecteur en lui montrant différents types de plantes et d’animaux qui ont existé durant les ères secondaire, tertiaire et quaternaire. Le lecteur découvre d’anciennes créatures aquatiques, des mastodontes, et même des hommes préhistoriques. Bien que certains éléments scientifiques soient imparfaits, tout cela reste très intéressant.
Par exemple, son mutisme s’augmentait de jour en jour. Je crois même qu’il nous gagnait. Les objets extérieurs ont une action réelle sur le cerveau. Qui s’enferme entre quatre murs finit par perdre la faculté d’associer les idées et les mots. Que de prisonniers cellulaires devenus imbéciles, sinon fous, par le défaut d’exercice des facultés pensantes.
Cette citation nous éclaire sur les transformations psychologiques qui touchent les voyageurs. Axel remarque que Lidenbrock et lui deviennent aussi silencieux que Hans en raison de la gravité de leur situation. Sous terre, ils ressentent beaucoup d'émotions intenses - peur, anxiété, joie, colère, confusion - tout en devant éviter les dangers qui menacent leur santé physique. Il n'est donc pas surprenant que leur esprit soit parfois moins rationnel que d'habitude (ce qui fait penser aux rêves d'Axel), et qu'ils commencent à confondre la vérité et leur imagination. La mise en scène de cette instabilité invite le lecteur à se demander si l'on peut se fier pleinement au récit d'Axel. S'il suggère en quelque sorte que lui et ses compagnons d'aventure ont peut-être sombré dans la folie, comment pouvons-nous prendre ses paroles pour argent comptant ?
Non. Le pouvoir éclairant de cette lumière, sa diffusion tremblante, sa blancheur claire et sèche, le peu d’élévation de sa température, son éclat supérieur en réalité à celui de la lune, accusaient évidemment une origine purement électrique. C’était comme une aurore boréale, un phénomène cosmique continu, qui remplissait cette caverne capable de contenir un océan.
Ce passage décrivant une tempête est, à juste titre, l’un des plus célèbres du roman. Sa description de l’éclair est particulièrement étrange car, bien qu'il soit l'expression même de la puissance de la nature, il semble convoquer des forces extérieures à celle-ci. Une aura mécanique se dégage, telle une démonstration dangereusement séduisante du pouvoir de la technologie. Ce procédé est rendu possible grâce à la connaissance approfondie de Verne des avancées technologiques de son époque, et la manière dont la technologie s'efforçait à la fois d'exploiter et d'améliorer la nature. Bien entendu, l’homme laissé à la merci de cette bataille semble réduit à une petite et impuissante créature face à des forces qui échappent à son contrôle.
A. S. ! s’écria mon oncle. Arne Saknussemm ! Toujours Arne Saknussemm !
C'est à ce moment-là que Lidenbrock et Axel réalisent qu’ils sont sur la bonne voie et que la tempête ne les a pas fait dévier, mais plutôt les a conduits exactement là où ils devaient être. L'exclamation attire notre attention sur la figure énigmatique de Saknussemm, un homme un peu différent des autres personnages, mais qui demeure néanmoins une figure d'importance. Ce qui est fascinant avec Saknussemm, c'est qu’on sait peu de choses et que le peu qu’on connaît suscite beaucoup de suspicions : hérésie ? alchimie ? runes et codes ? Nous ignorons pourquoi Saknussemm a gardé secrète son expédition, pourquoi il l'a entreprise, et ce qu’il a pu découvrir. Lidenbrock ne prend même pas la peine de se demander si oui ou non l'homme a menti dès le départ. Il se dit simplement que Saknussemm est un homme d’esprit, un aventurier, un rêveur. C'est comme si le destin faisait en sorte que le radeau les ramène sur le chemin tracé par Saknussemm. Tout cela est peu réaliste, et nous donne le sentiment que ce voyage est destiné à être fait.