Le naturalisme
Publié lorsque Zola expérimentait et affermissait ses principes artistiques, Thérèse Raquin est la suite d’une histoire précédente où Zola explorait les thèmes de l’adultère, du meurtre et du suicide en couple. En décembre 1866, l’écrivain publie « Une Page d’amour », qui contient seulement quelques pages mais qui suit exactement la même direction que l’intrigue de Thérèse Raquin et qui reprend virtuellement l’identité des personnages principaux. (Ici, Thérèse est appelée Suzanne, Camille est Michel, et Laurent est Jacques). Au-delà de la longueur, il y a une autre différence majeure entre Thérèse Raquin et son prototype : il a été considéré par Zola comme une passerelle importante avec ses productions à venir en tant que romancier naturaliste.
Dans la préface de 1868 de Thérèse Raquin, Zola parle de « méthode et critiques naturalistes » et « du groupe d’écrivains naturalistes auquel j’ai l’honneur d’appartenir ». Le mouvement Naturaliste est largement perçu comme une évolution du « Réalisme » de Balzac ou Flaubert : deux écrivains Français qui ont observé méticuleusement et documenté la société, et qui mettaient en valeur des personnages plausibles et de convaincantes représentations des forces sociétales et politiques. En majorité, l’utilisation de l’analyse à la troisième personne employée par ses prédécesseurs a influencé l’écriture de Zola.
Ainsi, le Naturalisme a donné aux idéaux du Réalisme une tournure plus scientifique. En plus d’incorporer les dernières théories en psychologie et sur la transmission héréditaire, le naturalisme de Zola prêtait une attention particulière aux éléments narratifs – les foules, les objets inanimés – qui avaient traditionnellement été minimisés ou encore ignorés. Ainsi que Zola le déclara «Balzac dit qu’il veut peindre les hommes, les femmes et les choses. Moi, des hommes et des femmes, je ne fais qu’un, en admettant cependant les différences de nature, et je soumets les hommes et les femmes aux choses ».
Les œuvres naturalistes montrent souvent les dessous d’une société grouillante de personnages dont le comportement est basé sur des modèles hérités. Ceci se retrouve dans le roman par les descriptions des tempéraments et du milieu de Thérèse et Laurent, les menant à leurs crimes et punitions dans une vision sombre de Paris de Zola. Le Paris dans lequel ils vivent est obscur et sinistre, rempli de gens qui ne les comprennent pas. Leur environnement exacerbe les nerfs de Thérèse et la nature sanguine de Laurent, les conduisant à la recherche d’une liaison passionnée dont la violence résultera.
Paris versus la Province
Paris était le seul et incontournable pôle culturel de la France du XIXe siècle - et à c’est à ce titre que les jeunes hommes ambitieux de l’époque de Zola convergèrent dans l’espoir de gagner gloire, fortune et pouvoir. Ce thème : le vif jeune homme qui recherche la gloire dans la métropole française, a été exploré en profondeur dans les nouvelles de Zola et de ses prédécesseurs, dont Le Rouge et le noir de Stendhal, les Illusions perdues, Le Père Goriot de Balzac. Zola connaissait tout à fait ce type d’ambition, mais pas seulement au travers de la littérature car avec son ami Paul Cézanne ils avaient emménagé à Paris depuis la province française, espérant laisser une trace dans les arts contemporains.
Les grands espaces de la campagne au-delà de Paris sont nommés provinces en France. Des œuvres satiriques de la vie provinciale telles que Madame Bovary de Flaubert ont beaucoup apporté à ce milieu qui avait tendance à être dépourvu de culture significative ou de réalisations d’importance. Mais ce n’est pas tout ; de fait, certains des peintures les plus célèbres de Cézanne dépeignent particulièrement les beautés de la province. Mais avec sa galerie de personnages de la paysannerie à l’esprit étroit (le père de Laurent) et de la banlieue parisienne (Mme Raquin et le vieux Michaud), Thérèse Raquin dépeint les pires stéréotypes de la vie en province.
Thérèse Raquin raconte ce milieu avec l’histoire d’un jeune homme qui cherche à intégrer la ville : Laurent. Ce jeune homme robuste est le fils d’un fermier aux « beaux champs de blé près de Jeufosse », et son rêve est de gagner de l’argent et vivre la belle vie de peintre. Pourtant Laurent est une version édulcorée du jeune homme ambitieux typique; ses peintures sont horribles et il semble simplement intéressé par la fortune et non par une renommée pérenne.
Le Crime
Quand Zola écrivit Thérèse Raquin, de nouveaux genres littéraires se popularisaient mondialement : le crime et le roman policier. Tournant autour des crimes difficiles à résoudre et la psychologie des criminels, ces deux nouveaux thèmes avaient été initiés par l’auteur Américain Edgard Allan Poe dans les nouvelles telles que « Double Assassinat dans la Rue Morgue » et « La Lettre volée ». Poe gagna rapidement en notoriété en France, grâce à la traduction des œuvres du poète et critique Charles Baudelaire.
Zola était l’un parmi de nombreux auteurs qui, probablement sans en avoir conscience, bouleversa complètement la manière de traiter le roman policier. L’histoire de base des romans policier est un récit qui se résout au fur et à mesure de la lecture, offrant des indices mais laissant le doute quant à la solution de l’intrigue principale jusqu’à la toute fin. (Parfois, le défi est de suivre qui va découvrir le coupable en premier : le lecteur ou le détective). En revanche, des récits tels que Thérèse Raquin de Zola, Crime et châtiment de Fyodor Dostoevsky, ou encore Le Cœur révélateur de Poe décrivent de manière immédiate qui sont les criminels et dédient la plupart de leur ouvrage à décrire les répercussions de la criminalité.
Pourquoi ces auteurs révèlent les mystérieux crimes potentiels de cette manière ? avec Zola, identifier les criminels incite le lecteur à faire un autre type de travail intellectuel; au lieu de comprendre « Qui a tué Camille? », le lecteur peut analyser intensivement les raisons et motivations derrière le meurtre de Camille. Mais Zola joue aussi avec le genre du crime en rendant les seuls détectives plausibles – le commissaire de police Michaud et ses amis – ridicules et inutiles. Le Vieux Michaud connait beaucoup d’histoires de meurtre mais il est manifestement nul pour découvrir l’assassin pourtant juste sous son nez.
La classe moyenne
La classe sociale à laquelle Thérèse et ses compagnons appartiennent est celle de la « bourgeoisie » : l’équivalent en de nombreuses manières de la classe moyenne aux cols-blancs moderne (Grivet, Michaud) ou des petits marchands (Mme Raquin). De tels individus ne possédaient pas de grandes fortunes, mais ils avaient une sécurité financière et participaient aux événements populaires, peut-être même avaient-ils une certaine connaissance mais limitée de la culture et des arts. Pourtant, la bourgeoisie était souvent critiquée comme un segment conservateur de la société. Dans les récits marxistes de l’histoire, ce groupe de la classe moyenne est souvent contrasté avec le prolétariat : la classe ouvrière dynamique qui progresse dans l’amélioration sociale et historique.
Dans cette description de Grivet, des Michaud, et même de Camille, Zola prend quelques standards des traits satiriques extrêmes de la bourgeoisie. Grivet, Camille et Olivier sont fières de ce qu’ils ont accompli dans leur vie, même s’ils n’ont pas fait plus que trouver un moyen de s’intégrer et de gagner de l’argent. En fait, « la vérité était qu’une ambition bête avait seule poussé Camille au départ. Il voulait être employé dans une grande administration ; il rougissait de plaisir, lorsqu’il se voyait en rêve au milieu d’un vaste bureau, avec des manches de lustrine, la plume sur l’oreille». En tant que bon bourgeois, Camille lit aussi des livres d’Histoire afin de « s’améliorer », mais il échoue à améliorer sa compréhension de ceux qui l’entourent – en commençant par celle de sa femme mélancolique.
Il faut relever, malgré tout, que Zola était un défenseur de l’égalité des chances. Plus tard dans ses livres dépeignant l’aristocratie parisienne (La Curée), la misère urbaine (L’Assommoir), les paysans des provinces (Germinal), et les militaires français dans tous ses grades (La Débâcle). Chacun de ces romans dépeignent des personnages incarnant l’avidité, l’égoïsme et autres vices ; chacun de ces livres donnent à Zola un champ d’exploitation du même style de satire ironique employé aussi dans Thérèse Raquin.
Des tempéraments conflictuels
Au cours de ce roman, Zola décrit de nombreuses fois Thérèse comme « nerveuse » et Laurent « sanguin ». Ce ne sont pas de simples adjectifs récurrents ; en effet ces dénominations sont issues de préconçus médicaux et psychologiques largement popularisés au temps de Zola. Connus sous la théorie des « humeurs », ces croyances postulaient que les traits principaux d’un individu, ses réactions et ses types de comportements étaient le produit de la composition physique de son corps. Laurent le sanguin est nommé en référence au sang, ce qui le rend fort et complaisant ; la nerveuse Thérèse est nommée par rapport aux nerfs, ce qui la rend sensible et instable.
Ces concepts médicaux et psychologiques sont l’évolution de l’ancienne théorie populaire des « humeurs », qui divisait l’humain en quatre types de personnalités primaires : colérique (colère), mélancolique (pensif), flegmatique (léthargique), et sanguin (énergétique). Le type sanguin qu’est Laurent en est un exemple très évident, mais Thérèse pourrait être classifiée aussi cholérique ou mélancolique – tout comme Laurent, pendant les sombres derniers chapitres. Camille pourrait aussi être catégorisé flegmatique, mais Zola évite d’utiliser directement cet adjectif.
Même si Thérèse Raquin échappe aux lois médicales et psychologiques, le roman lui-même est néanmoins une preuve de l’intérêt constant de Zola pour la pratique médicale, des idées analytiques adressé au royaume désordonné de l’art. Alors que Zola avance dans l’écriture de ses prochains romans, il se désintéressera des tempéraments mais davantage à un autre sujet biologique beaucoup discuté : l’influence de l’hérédité.
L'ironie
Il y a de nombreux passages ironiques, à la fois comiques et cruels, dans Thérèse Raquin. Alors que Laurent est perçu comme un fleuret pour Camille, les deux hommes se ressemblent plus qu’ils ne le paraissent au premier abord. Laurent vient d’une bonne famille de paysans, un modèle de virilité masculine, alors que Camille est un jeune homme malade est faible. Malgré la puissance physique de Laurent, il veut une voie oisive et de loisirs, le style de vie qui tourmente justement Camille. C’est donc ironique que Thérèse choisisse un amant qui à des points communs avec Camille.
Mme Raquin a pris soin de son fils tout au long de son enfance et l’arrachant à la mort, mais elle est impuissante devant un meurtre. Cet horrible tour du destin à lieu alors que les meurtriers cohabitent longtemps juste sous son nez. Quand elle tombe malade, les gens dont elle est entourée ne comprennent pas le crime qu’elle tente de révéler. Son sort devient cruellement ironique, tandis que l’amour, ou le « Temple de paix » qu’elle a construit se révèlent être un leurre total.
La dernière partie du livre est le point culminant avec les projets communs de meurtre de Thérèse et Laurent. Même si le meurtre de Camille a été motivé par le désir du couple d’être ensemble, le cadavre de Camille reste entre eux. Dans un moment sombre presque comique, les amants d’antan découvrent le plan de l’un et de l’autre et décident de se tuer par désespoir de cause. Dans leurs intrigues conjointes, ils prouvent qu’ils sont destinés à être ensemble, et plongent dans la mort dans une étreinte qu’ils n'étaient plus capables de vivre dans le mariage.
L'emprisonnement
Même si Thérèse et Laurent ne sont pas jugés pour leurs crimes, ils se sentent emprisonnés. Dans la nuit qui suit l’assassinat de Camille, “Thérèse et Laurent portent légèrement la chaîne rivée à leurs membres, qui les unissaient ». Zola fait référence aux amoureux “prisonniers” de leur culpabilité et insomnie. Leur sort est bien pire que la prison puisqu’ils sont torturés toutes les nuits et dans leur intimité – le meurtre ne les a jamais épanouis.
Les personnages sont coincés dans leur milieu et dans leurs tempéraments. Ceci est montré dès le début dans les descriptions de leur quartier à Paris. Avant l’apparition de Laurent, Thérèse se sentait toujours étouffée dans sa vie. Elle n’était pas très heureuse dans son enfance à Vernon, élevée auprès du malade Camille. Son zèle était toujours éteint par son cousin, et cela ne s’améliora pas après son mariage et leur déménagement à Paris. Sa passion animale la mène à une liaison avec Laurent et à sa participation au meurtre de Camille. Même quand elle est libérée de celui-ci, son tempérament nerveux l’empêche d’être en paix avec elle-même.
Mme Raquin souffre peut-être du pire des emprisonnements, en succombant à une paralysie totale. En dépit de sa santé physique, elle reste alerte et consciente, et elle apprend le crime de Camille commis par « ses enfants ». Incapable de communiquer à ses amis sur leur crime lors des soirées du jeudi soir, Mme Raquin est forcée de vivre aux dépens des assassins de son fils. Son stratagème de se laisser mourir de faim est abandonné, dans l’espoir d’assister au châtiment de Thérèse et de Laurent. A la fin du roman, Mme Raquin gagne une semi-victoire, puisque les amants se suicident tous les deux devant elle. En tant que roman de crime sans la morale habituelle du jugement et de l’emprisonnement, Thérèse Raquin est un récit édifiant au point de vue du coupable et ne laisse pas les innocents indemnes.