Le roman commence par une description détaillée du Passage du Pont-Neuf, une rue sinistre de Paris peuplée de petits commerçants. Au milieu de cette artère mal éclairée, on trouve une boutique portant deux signes enseignes : la première annonce « Mercerie » en lettres noires et la deuxième « Thérèse Raquin » en rouge. La boutique regorge de vieux articles et bibelots - manches, chaussettes, échantillons de tissu - beaucoup d’entre eux ont jauni ou sont décolorés en de vilaines couleurs grisâtres.
Cette boutique est tenue par une jeune femme au visage pâle, au profil aiguisé et aux cheveux foncés et abondants, qui reste immobile derrière le comptoir pendant des heures. Bien que Zola ne révèle les noms des personnages qu’au deuxième chapitre, il s’agit bien de Thérèse Raquin. De temps en temps elle est rejointe par une vieille femme (Mme. Raquin) avec un chat tigré, et par un jeune homme d’environ trente ans qui bavarde et lit - Camille. Ces trois personnes sont apparentées : l’homme et la jeune femme sont mari et femme, et la vieille femme est la mère du jeune homme. La nuit, ils se retirent dans leur appartement à l’étage. La jeune femme est la dernière à se coucher, et passe souvent un peu de temps à surveiller autour d’elle avec ennui et mépris avant de s’allonger pour dormir.
Mme Raquin est une mercière originaire de Vernon. Elle y avait loué une petite maison sur un terrain descendant jusqu’à la Seine. C’est là-bas qu’elle éleva Camille, un garçon qui, tout au long de ses premières années, fut confronté à diverses maladies. Mme Raquin le soigna à plusieurs reprises. A Vernon, Thérèse passa toute sa jeunesse sous la surveillance de Mme Raquin - sa tante.
Le père de Thérèse était le frère de Mme Raquin, un marin, un capitaine, qui a conçu Thérèse pendant son séjour en Algérie avec sa mère une beauté locale. À la mort de la mère de Thérèse, le frère de Mme Raquin laissa sa fille aux soins de sa sœur et mourut en Afrique quelques années plus tard. Jeune fille saine et passionnée, Thérèse est maintenue dans une atmosphère confinée et pénible à cause des maladies constantes de Camille. En conséquence, elle a développé une personnalité empreinte de suspicion, elle est calculatrice et extérieurement froide.
Camille n’éprouve jamais de véritable attachement romantique envers Thérèse (il craint même parfois sa sauvagerie), mais il accepte le mariage que Mme Raquin lui propose. La nuit de ses noces, Thérèse s’installe simplement dans la chambre de Camille. En dehors de cela, sa vie ne change que peu.
Peu après son mariage, Camille annonce qu’il veut quitter Vernon et chercher un emploi à Paris. Il rêve de devenir un employé dans un grand établissement. Après une première période d’opposition, Mme Raquin cède au projet de son fils et trouve même une nouvelle mercerie, qu’elle acquiert à bon compte, dans le passage du Pont-Neuf.
Malgré les affirmations de Mme Raquin comme quoi la vie dans le Passage du Pont-Neuf finira bien par devenir agréable, Thérèse perçoit pour ce qu’ils sont vraiment, le petit magasin miteux et la rue désagréable. Cependant, Camille aime profondément sa nouvelle vie. Il trouve un emploi au Chemin de fer d’Orléans et entreprend sa propre routine. Le matin, il marche le long de la Seine, et le soir, il s’arrête au jardin zoologique de Paris, le Jardin des Plantes et contemple les animaux. La nuit, il lit des livres d’histoire pour cultiver son esprit. Mais Thérèse n’a aucune motivation pour tenter d’améliorer sa situation, et trois années d’ennui filent dans une grande monotonie de manière monotone.
Enfin, un groupe d’invités réguliers commence à se former autour de la maison Raquin. Mme Raquin retrouve une vieille connaissance de Vernon : le commissaire de police Michaud, qui se met à fréquenter le passage du Pont-Neuf. Le vieux Michaud y entraîne son fils, un grand et important fonctionnaire de police nommé Olivier. Ce dernier est souvent accompagné de sa femme, une petite et douce femme nommée Suzanne.
Camille apporte sa propre contribution à la vie sociale au passage du Pont-Neuf, accompagné d’un de ses supérieurs superviseurs du bureau, un homme nommé Grivet. Ensemble, ces invités prennent l’habitude de se présenter à l’appartement des Raquin le jeudi soir, lorsqu’ils se réunissent pour jouer aux dominos et boire le thé de Mme Raquin. Thérèse est irritée, même exaspérée par ces visiteurs. Elle fait de son mieux pour éviter les réunions, mais Camille la pousse toujours à revenir dans l’appartement en présence de ses invités ridicules.
À l’une des soirées du jeudi, Camille amène un nouvel ami : un de ses collègues du chemin de fer, un jeune homme grand et robuste au nom de Laurent. Il s’avère qu’ils se connaissaient déjà du temps de l’école. Laurent se sent chez lui, mais il fait aussi quelques déclarations qui choquent et troublent les Raquin, y compris Thérèse. Une rupture a eu lieu entre Laurent et son père, un paysan au mauvais caractère, mais à présent le jeune homme est attiré par le style de vie décontracté des artistes de Paris - un style de vie de loisirs et de plaisirs sensuels - malgré l’absence d’un quelconque réel talent de peintre.
Au cours de la soirée, Laurent déclare qu’il aimerait peindre le portrait de Camille. Camille et Mme Raquin se réjouissent de ce projet. Mais Thérèse ne réagit pas de la sorte ; elle est troublée par la présence de Laurent, et aussi envoutée par une personnalité si différente de la sienne.
Analyse
Il y a différentes raisons pour lesquelles Zola s’abstient de nommer ses personnages dans le premier chapitre. Il est résolu au premier chef à créer installer une atmosphère d’infamie, de misère et de désespoir : il se concentre sur l’insalubrité du passage étroit du Pont-Neuf et décrit comment ces murs semblent être « comme couverte d’une lèpre et toute couturée de cicatrices cette citation est au féminin on parle des murs ?». Désigner ses personnages et leur attribuer des histoires pourrait l’éloigner de son objectif. Mais peut-être aussi que Thérèse et sa famille restent anonymes parce que Zola veut suggérer qu’il y a beaucoup de coins malfamés comme celui-ci à Paris— et que dans divers endroits d’une même ville, le même genre de scènes déprimantes désespérantes sont vécues par d’autres gens anonymes et interchangeables.
Le deuxième chapitre de Thérèse Raquin ne se contente pas d’expliquer qui sont les Raquin; il explique aussi les désirs et les motivations derrière certaines des réactions bizarres que Thérèse manifeste dans le premier chapitre. Nous apprenons que Thérèse regarde son entourage avec « une indifférence méprisante ». Assez vite, les raisons de son mépris sont expliquées : ses passions refoulées, ses rêves sauvages non réalisés, probablement aussi son héritage familial. Une rue parisienne étroite semble être un piètre décor pour la fille d’un capitaine français aventurier et d’une mère algérienne, ainsi Thérèse prend conscience de cette discordance entre son style de vie et son héritage à mesure qu’elle vieillit.
Une autre vertu du premier chapitre est qu’il contraste avec le sentiment de déception auquel Zola revient si souvent. L’étroitesse et l’obscurité du passage du Pont-Neuf ne sont pas de simples détails réalistes ; elles symbolisent l’ensemble des possibilités étriquées qui sont offertes dans la vie de Thérèse et semblent annoncer son sombre avenir. Même quand celui-ci n’est décidément pas sombre, il implique des « choix » à la fois inévitables inéluctables et sans intérêt, tel son mariage avec Camille.
Le désespoir de Thérèse prend un nouveau tournant avec l’apparition du vieux Michaud et des autres invités. Elle considère à peine ces visiteurs du jeudi soir comme des êtres humains, les voyant plutôt comme d’horribles décorations vivantes, « elle se croyait enfouie au fond d’un caveau, en compagnie de cadavres mécaniques, remuant la tête, agitant les jambes et les bras, lorsqu’on tirait des ficelles» ou « des poupées de papier grimaçant autour d’elle ». Ainsi, l’énergie animale sauvage de Thérèse est réduite à peau de chagrin, puisqu’on ne lui procure que ces compagnons, prévisibles, quasi morts vivants.
Tous ces détails déprimants font apparaître l’arrivée de Laurent comme un changement miraculeux dans la routine de Thérèse. Le robuste Laurent est un fleuret pour le maladif et complaisant Camille, mais cela ne signifie pas que Laurent a le meilleur rôle ; en fait, la diligence et la loyauté de Camille envers sa mère peuvent sembler admirables comparativement à la résistance poussive de Laurent à obéir à son père. Thérèse, cependant, a peu de temps pour de telles nuances et semble vouloir sortir de sa vie hébétée. Mais il y a un autre changement que la présence de Laurent apporte : un décalage dans la perspective du roman. Alors que les premiers chapitres tournent autour de Mme Raquin, Camille, et surtout Thérèse, le reste du livre prendra Laurent comme un de ses axes dominants- si ce n’est l’axe dominant.