Pour s’occuper en attendant son pourvoi en cassation, le condamné compte les jours qu’il lui reste à vivre en faisant la liste des procédures à mettre en œuvre dans le cas d’un procès. Le temps qu’il estime est de six semaines. Le prisonnier rédige son testament. Il nous livre, pour la première fois, des éléments personnels sur sa vie. Il parle de sa petite fille de trois ans, de sa mère de soixante-quatre ans ainsi que de sa femme qu’il va laisser sans aucune protection derrière lui.
Le narrateur retourne à la description et nous présente sa cellule sans fenêtre et meublée d’un simple matelas en paille. Il décrit aussi le long couloir longé par les cellules des forçats et des autres condamnés à mort. Ensuite, pour passer le temps, il lit et tente de décrypter les inscriptions et les dessins, laissés par d’autres prisonniers, couvrant les murs de sa cellule. L’image d’un échafaud dessiné sur le mur le perturbe particulièrement.
De nouveau assis sur la paille à contempler des inscriptions murales, il découvre les noms de célèbres criminels ayant séjourné dans sa cellule et étant connus pour actes horribles. Cette idée lui provoque un nouveau sentiment de panique. Une fois endormi, il est brusquement réveillé par une araignée qui lui monte sur le pied.
Les jours passent et le narrateur se rappelle d’un événement particulier à la prison qu’il a pu observer depuis une fenêtre : les préparatifs pour le départ des forçats au bagne de Toulon. Il s’attarde sur la description de la grande cour de Bicêtre et de l’architecture de ses bâtiments vétustes. Cet événement nous est présenté comme un véritable spectacle en trois actes : la visite médicale, la visite des geôliers puis le ferrage. Il nous parle du traitement inhumain réservé à ces condamnés enchainés, trempés par la pluie, nus et enchainés au milieu de la cour où ils chantent leurs malheurs. Ce spectacle désolant révolte le narrateur qui, pris de panique, tente de s’enfuir, mais s’évanouit sur le champ.
Lorsqu’il revient à lui, il se trouve dans l’infirmerie. C’est la première fois depuis quelque temps qu’il se trouve dans un lit, sur un véritable matelas. Il se rendort puis est réveillé par le bruit des charrettes transportant les forçats au bagne. Profondément touché par cette scène, le narrateur affirme alors préférer la mort à l’enfer du bagne. Le lendemain, il quitte l’infirmerie pour retourner dans sa cellule. Il pense à une éventuelle évasion puis l’espoir renaît de nouveau dans son esprit et il pense à la grâce. Il semble tenir à la vie plus que jamais.
Durant ses quelques heures de liberté à infirmerie, le narrateur se souvient avoir entendu une jeune fille chanter une chanson en argot alors qu’il était assis au soleil près d’une fenêtre. La chanson évoquait l’histoire d’un voleur annonçant à sa femme qu’il a tué un autre homme. Le narrateur souligne le contraste entre la douceur de cette voix et l’atrocité des paroles. Le narrateur est de nouveau animé par un sentiment de panique et de terreur : tout à Bicêtre lui rappelle la mort.
Analyse :
Dans le chapitre 8, le décompte froid des jours qu’il reste à vivre au condamné se transforme en compte à rebours oppressant, le prisonnier finit par ne plus savoir depuis combien de temps il est enfermé. Malgré le titre, Le Dernier Jour d’un condamné ne se déroule pas en vingt-quatre heures, mais sur environ une semaine ponctuée de retours dans le passé. Pour Victor Hugo, le plus important n’est pas l’unité de temps, mais l’unité d’action.
À travers le chapitre 9, l’auteur nous met face à la souffrance psychologique qu’induit une condamnation à la peine capitale. Grâce à l’usage du registre pathétique, il cherche à démontrer que la peine de mort enlève définitivement une personne à ses proches sans pour autant soulager les victimes. Au contraire, la peine de mort augmente souvent l’injustice en punissant des innocents même si cela ne semble pas être le cas de notre protagoniste.
Le cachot que le prisonnier nous décrit dans les chapitres 10, 11 et 12 a déjà l’allure d’un tombeau. Le prisonnier est isolé, littéralement coupé des autres, ceux qui sont encore considérés comme des êtres humains. On observe donc de nouveau l’opposition entre deux mondes : celui des vivants et celui des (presque) morts. À travers une référence à Jeanne d’Arc, Victor Hugo file sa condamnation de la peine de mort en nous rappelant que cette dernière sert, le plus souvent, des fins politiques et favorise les faux procès. La peine de mort ne fait pas un exemple, mais elle donne le criminel en exemple. Selon Victor Hugo la peine de mort fait seulement disparaître les criminels, mais ne fournit aucune analyse permettant de donner des clefs de compréhension à de pareils actes. Il souligne également le manque de dissuasion de ces condamnations en nous montrant que le cachot que notre narrateur occupe n’est jamais vide et que donc aucun de ces crimes n’a pu être empêché par la peine de mort.
Dans le chapitre 13, qui est essentiellement descriptif, le prisonnier nous décrit le ferrage des forçats. Dans un tableau particulièrement réaliste, le narrateur décrit de manière particulièrement précise l’environnement, les deux cours de Bicêtre, les portes, les prisonniers qui viennent assister au spectacle, etc. Pour appuyer sa description, le narrateur utilise un vocabulaire concret et technique qui permet de représenter les apparences des personnages présents notamment avec la présence des champs lexicaux du vêtement et du corps. Le narrateur installe un cadre spatio-temporel avec les compléments « sur », « dans » ou encore « autour ». À travers cette description, le narrateur transmet un message engagé aux lecteurs que Victor Hugo veut émouvoir avec la présence du registre pathétique en insistant que la torture endurée par les forçats. Il est insupportable pour le futur condamné à mort de voir l’humiliation et la déshumanisation des forçats qui apparait comme une punition dans le roman. Leur déshumanisation passe aussi par le vocabulaire employer par l’auteur, « quelqu’un », « un », « les galériens ». Le ferrage des forçats est un tableau réaliste qui installe un cadre spatio-temporel précis. Avec cette mise en scène, Victor Hugo cherche à émouvoir le spectateur et le lecteur afin de dénoncer l’inhumanité de la peine de mort.
À travers le chapitre 14, le lecteur saisit à quel point les choses les plus banales deviennent un luxe pour les prisonniers. Dormir dans un lit devient un moment de « bonheur » pour le prisonnier. Si cela peut sembler relever de l’hyperbole, il n’en est rien ici. Cela permet à l’auteur de rappeler au lecteur la condition miséreuse du narrateur du récit. Après son passage à l’infirmerie, le prisonnier fait un récit factuel et très précis du départ des forçats au bagne. Le sentiment de sécurité que le simple confort d’un lit avait suscité chez le condamné se transforme en sentiment de colère. Le prisonnier montre alors, de nouveau, un changement radical de pensée. Lui qui ne souhaitait pas mourir préfère de nouveau la mort au bagne. C’est le retour du combat interne entre lutte et résignation.
Dans les chapitres 15 et 16, nous pouvons voir la manière dont Victor Hugo a structuré son roman. En effet, on observe en effet une claire alternance entre les chapitres dans lesquels le prisonnier nous conte des récits factuels et les chapitres dans lesquels il nous fait part des pensées qui animent son for intérieur. On ressent également, au cours de ce passage, les différentes vagues d’émotions, contradictoires, ressenties par le narrateur qui oscille entre renoncement, espoir et rage. Victor Hugo, dans ces extraits, suscite de nouveau un sentiment de pitié chez le lecteur, le plaçant au plus proche du condamné malgré qu’il ignore, paradoxalement, tout de lui. De cette manière, l’auteur relaye à un plan secondaire l’importance de l’identité du condamné conférant ainsi une dimension plus universelle à son propos.