La Place

La Place Résumé et Analyse

Après avoir longuement évoqué le rapport de son père au langage et au parler dans la partie précédente, Ernaux évoque brièvement la communication dans sa famille. Elle explique ainsi que son père et sa mère se parlent toujours avec emportement et que ce ton de reproche imprègne toutes les interactions familiales. Les discussions polies n’ont lieu qu’avec les inconnus. Ernaux pointe toutefois l’hypocrisie de la politesse apparente dans les familles bourgeoises: “J’ai mis aussi des années à « comprendre » l’extrême gentillesse que des personnes bien éduquées manifestent dans leur simple bonjour. (...) Puis je me suis aperçue que(...) ces sourires, n’avai[t] pas plus de sens que de manger bouche fermée.”.

Ernaux se rappelle ensuite du rapport de son père à l’école. Si celui-ci souhaite qu’elle soit attentive et sérieuse en classe, il refuse toutefois de s’intéresser à l’institution scolaire. Ernaux raconte ainsi que son père parle avec une certaine déférence dès qu’il aborde le sujet de l’école, mais ne s'y rend jamais, même pendant les fêtes de fin d’année.

L’autrice évoque avec détails la vie et les relations dans le milieu des petits commerçants. Tout en dressant un portrait du quotidien de ses parents dans le café-épicerie, à la manière d’un emploi du temps, elle raconte aussi le début de la concurrence entre “gros” magasins et petites boutiques. Elle assure pourtant que son père reste optimiste, gardant la certitude “qu’on ne peut pas être plus heureux qu’on est.”.

Ernaux revient sur le fossé que l’école creuse entre son père et elle lors de son adolescence, période durant laquelle elle “émigre doucement vers le monde petit-bourgeois”. Elle raconte le rejet qu’elle éprouve devant les “préjugés” de son milieu d’origine ou devant ses intérêts passés. Ernaux passe une grande partie de son temps libre à lire. Ses études vont créer une distance, peu à peu irrémédiable, avec son père. Son appartenance au monde bourgeois lui fait voir sa famille comme entrant “dans la catégorie des gens simples ou modestes ou des braves gens.”. L’incompréhension entre Ernaux et son père grandit lorsque celle-ci continue d’étudier, à dix-sept ans. Son père craint que sa famille ou ses clients ne prennent sa fille “pour une paresseuse et lui pour un crâneur.”. Le père et la fille communiquent moins, se disputent plus, surtout lorsqu’Ernaux essaie de lui faire changer ses manières. Tout est source de conflit, d’éloignement. Ernaux remarque finalement : “J’écris peut-être parce qu’on n’avait plus rien à se dire.”.

Ernaux se centre ensuite à nouveau sur la vie de son père au village, qui connaît de nombreuses transformations. Peu avant qu’elle rentre à l’université, son père tombe malade. L’opération qu’il subit l’affaiblit grandement, au point que l’autrice déclare: “Il a perdu sa fierté à cinquante-neuf ans.”. Elle raconte cependant le désir de son père de “reprendre le dessus”, bien qu’il se soit résigné à ce que le café-épicerie disparaisse avec lui. Son père semble, raconte-t-elle, “décidé maintenant à profiter de l’existence.”.

Ernaux devient alors élève-institutrice à Rouen, avant de quitter l’école pour Londres, où elle passe plusieurs mois. Elle revient ensuite à Rouen, où elle débute une licence de lettres. Ce parcours académique continue à accentuer la distance qui s’est créée entre elle et son père. Tout d’abord, celui-ci a peur d’être jugé trop privilégié car sa fille continue à étudier, à plus de vingt-et-un ans. Il n’ose pas avouer que celle-ci est boursière, de peur qu’on lui reproche de dépenser l’argent de l’État. Enfin, il attache une importance particulière à honorer la présence des amies d’université de sa fille qui lui rendent visite, à respecter leurs codes sociaux sans trahir ses origines modestes.

Lorsque le père de l’autrice rencontre son futur gendre, il change de vêtements et met une cravate ainsi que son “pantalon du dimanche.”. Ernaux raconte que sa seule préoccupation est que son futur mari soit “bien élevé”. Il donne ses économies au jeune couple, peu avant leur mariage.

Analyse

Dans cette partie, Ernaux décrit sa propre adolescence, le rapport qu’elle entretient avec son père, ainsi que la vie de son père lui-même. On suit alternativement la vie de son père en tant que petit commerçant de Y.., mais aussi l'expérience de l’autrice en tant que jeune étudiante qui intègre, petit à petit, la petite bourgeoisie.

Le rapport du père de l’autrice à l’école est évoqué à multiples reprises dans cette partie. L’école apparaît tout d’abord comme une figure d’autorité, que le père invoque pour obtenir l’obéissance de sa fille : “l’école (...) était pour lui un terrible univers qui (...) flottait au-dessus de moi pour diriger mes manières, tous mes gestes”. L’école apparaît également comme une institution façonnée par et pour les classes dominantes. D’une part, le vocabulaire et les expressions employées par le père montrent la déférence de celui-ci envers l’institution. D’autre part, l’école est l’un des principaux vecteurs d’éloignement entre le père et la fille : au travers de ses études et de ses rencontres, les intérêts et les préoccupations d’Annie Ernaux deviennent celles de la bourgeoisie, ce qui suscite l’incompréhension croissante de son père.

Les descriptions de la vie du père de l’autrice permettent également d’entrevoir les transformations sociales de la France à la fin des années 50. Ernaux évoque ainsi l’essor des supermarchés et des “commerces modernes”, ainsi que la mutation des habitats. Elle raconte comment la population du village change : les cadres partent vivre dans des immeubles neufs et sont remplacés par des familles en attente d’obtention d’un H.L.M (habitation à loyer modéré).

Enfin, cette partie analyse à nouveau l’importance conférée par le père de l’autrice à sa place dans la société et au regard des autres. Celui-ci est en effet préoccupé par ce que les habitants de Y… ou sa propre famille vont penser lorsqu’ils apprendront que sa fille étudie et ne travaille pas. Ernaux souligne l’importance de cette dichotomie dans l’esprit de son père : “Il disait que j’apprenais bien, jamais que je travaillais bien. Travailler, c’était seulement travailler de ses mains.”. Cette appréhension du regard des autres apparaît également lorsque son père est confronté à l’apparition de bourgeois dans son propre milieu : il est soucieux de plaire aux amies de sa fille et de montrer son savoir-vivre. Il adopte également les codes vestimentaires de la bourgeoisie devant son gendre. Ernaux explique que la politesse est considérée comme l’un des codes sociaux des classes bourgeoises : ses parents ont la “conviction profonde que le savoir et les bonnes manières étaient la marque d’une excellence intérieure, innée”.