Bérenger dort dans sa chambre et est en proie à un cauchemar. Dudard lui rend visite, mais il ne reconnaît pas sa voix. Bérenger est un peu paranoïaque et craint que sa propre voix change, ce qui laisserait présager une transformation en rhinocéros. Dudard lui assure qu’il n’en est rien. Les deux hommes commencent à parler de Jean, dont la métamorphose ne semble pas beaucoup étonner Dudard. Celui-ci dit à Jean de ne pas exagérer et qu’il ne sert à rien de s’inquiéter.
Bérenger et Dudard réfléchissent à une explication, et Dudard avance l’idée d’une épidémie, comme une grippe. Bérenger, lui, refuse l’idée de quelque chose de logique ou de rationnel. La conversation prend un nouveau tournant lorsque Dudard révèle que M. Papillon s’est lui aussi transformé en rhinocéros. Il essaie de justifier ce choix, en disant qu’il faut essayer de comprendre ses motivations au lieu de le juger.
Au cours de leur dispute, Dudard prétend incarner l'objectivité, la logique et la rationalité, tandis que Bérenger s'appuie sur son intuition pour défendre ses arguments. Toutefois, lorsqu’ils voient par la fenêtre que le Logicien s'est lui aussi transformé en rhinocéros, Bérenger en conclut que la "logique" de Dudard n'a aucune pertinence. Dudard, de son côté, en déduit que le Logicien a dû peser le pour et le contre avant de prendre sa décision.
Daisy fait son entrée et apprend à Dudard et Bérenger que Botard s’est lui aussi transformé. Ses dernières paroles seraient “Il faut suivre son temps”. Daisy indique que les rhinocéros font désormais partie du paysage et n’étonnent plus personne. Des personnalités connues se seraient aussi transformées, et tout le monde compte désormais un rhinocéros parmi ses proches parents.
Les trois personnages veulent déjeuner, mais le vacarme produit par les rhinocéros devient insupportable. Ils s'approchent de la fenêtre et voient des rhinocéros partout, mais aucun humain. Dudard dit avoir envie de déjeuner à l'extérieur, sur l'herbe, et proclame préférer “la grande famille universelle à la petite”. Bérenger, lui, défend ardemment la supériorité de l'homme sur le rhinocéros et enjoint à Dudard de ne pas les rejoindre. Dudard ne l’écoute pas et finit par rejoindre le troupeau, se transformant lui-même en rhinocéros peu de temps après.
Il ne reste plus que Bérenger et Daisy. Ils imaginent une vie paisible tous les deux, faite de lectures et de longues balades, et entament une discussion philosophique. Ils se disent que, comparativement, ils sont moralement supérieurs à la plupart des individus, que leur bonté les distingue, et que la culpabilité est un symptôme dangereux.
Le téléphone sonne, et ils hésitent brièvement à répondre. Bérenger répond, car il reconnaît la sonnerie des autorités, mais il n’entend que des barrissements. Il devient évident que les autorités se sont elles aussi métamorphosées en rhinocéros, ce qui laisse supposer qu’ils sont les derniers humains sur Terre.
Alors que Bérenger continue à faire part de son amour à Daisy, celle-ci change progressivement de comportement. Elle propose de laisser les choses suivre leur cours. Bérenger maintient son point de vue selon lequel les rhinocéros sont "fous", mais Daisy éprouve de l'empathie envers eux et suggère qu'ils essaient de comprendre leur psychologie et d'apprendre leur langue. Bérenger insiste, mais Daisy répond avec indifférence qu’il ne sert pas à grand-chose d’essayer de sauver le monde.
Daisy devient de plus en plus fascinée par les rhinocéros à l'extérieur, et se dit attirée par leurs danses et leurs chants. Puis, brusquement, elle sort et les rejoint.
Seul sur scène, Bérenger, le dernier être humain sur Terre, se lance dans un grand monologue final. Il commence par évoquer la douleur causée par le départ de Daisy, mais perd progressivement le contact avec la réalité, se posant des questions existentielles sur sa langue et son apparence. Pour la première fois, il perçoit la beauté des rhinocéros et exprime le désir de leur ressembler. Il fustige son front trop plat, son corps trop blanc, sa peau trop lisse. Il tente même de se transformer en rhinocéros en émettant des sons de trompette et en souhaitant avoir une corne, mais il reste humain. Finalement, il reprend courage et affirme qu'il continuera à se battre et qu’il ne capitulera jamais.
Analyse
Dès le début de ce dernier acte, Ionesco établit un parallélisme avec l'ouverture de la scène précédente. Les didascalies indiquent que la chambre de Bérenger ressemble à celle de Jean. Lorsque Dudard fait son entrée et que Bérenger ne le reconnaît pas, leur dialogue rappelle l'échange entre Jean et Bérenger. Il devient évident que Dudard est en train de devenir un rhinocéros.
Ce dernier acte met en lumière le caractère historique de l'allégorie d'Ionesco. Lorsque Dudard débat avec Bérenger de la montée en puissance des rhinocéros, ses arguments résonnent étrangement avec la montée en puissance du nazisme en Allemagne. Dudard affirme que ce n’est que temporaire, que les rhinocéros ne font pas de mal et qu’il commence à s’habituer à leur présence. L'attitude de Dudard incarne clairement les dangers d’un manque de conviction politique et morale.
La raison pour laquelle Bérenger reste le dernier être humain devient alors évidente. Contrairement aux autres, il craint de se transformer en rhinocéros et n’arrive pas à accepter le point de vue de Dudard, selon lequel il ne sert à rien de lutter.
Lorsque Dudard décide de rejoindre les rhinocéros, il justifie son acte en parlant de son "devoir" de rejoindre ses pairs. Bérenger, quant à lui, insiste sur le fait que son devoir est de résister aux rhinocéros. Seul le premier cède à la tentation de la majorité. Ionesco illustre ainsi le fait que les humains ont tendance à faire comme les autres, même si ce que font les autres est absurde.
La transformation de Daisy ressemble à celle de Dudard. Le processus de métamorphose des rhinocéros est rapide et s’impose même à ceux qui prétendent résister.
Avec les transformations de ces deux personnages, Ionesco insiste sur le thème de l’importance des apparences. Le fait que Dudard semble intelligent, déterminé et ambitieux, et que Daisy soit belle et intelligente ne les empêche pas de se transformer. Cependant, ces vertus cèdent rapidement face au désir de conformité.
Lorsque Daisy décrit comment la société a accepté les rhinocéros, Ionesco suggère finalement que toutes les réalités peuvent être acceptées par la société si tant est qu’elles soient suivies par suffisamment de monde. Le temps ou la pression des pairs suffiraient à faire accepter aux gens les pires atrocités, comme cela s'est produit lors des persécutions nazies. Ionesco nous met en garde contre le risque pour toute société, même démocratique, de sombrer dans l’absurde et l’irrationalité.
Bérenger se distingue nettement des autres. Non seulement il résiste à l’attraction des rhinocéros, mais il s’engage aussi dans la résistance. Bien qu'il soit brièvement tenté par la transformation en animal, il en est incapable. Il ne peut tout simplement pas changer sa nature profonde ; son individualisme l'emporte sur tout le reste.
Dans son monologue final, Bérenger affirme fièrement son individualité. Ionesco transmet ici son message : nous devons nous engager politiquement et personnellement pour éviter de devenir des rhinocéros ou de nous laisser berner par des faux arguments.
Cependant, nous devons également faire face à la vie quotidienne et à son absence de sens. Si nos efforts pour comprendre et vivre en paix dans le monde ne nous apportent que de la solitude et de l’absurdité, est-ce la peine de se donner du mal ? L’évolution de Bérenger, d’abord citoyen désintéressé puis résistant révolté, semble nous inciter à nous engager pour une cause, à croire en quelque chose et à nous battre pour cela. Ionesco nous invite à réfléchir à la signification de nos actions quotidiennes, à leur valeur et à leur impact sur la société.