Le chapitre 9, “Naissance de l’asile”, est le point final du récit de Foucault. Le système des asiles, qui commença avec les hôpitaux généraux, marque le dernier changement dans la compréhension de la folie à l'époque étudiée par l’auteur. Dans le chapitre précédent, nous avons vu la différence entre la folie et le simple crime. Se pose désormais, dans les institutions où seuls les malades mentaux sont accueillis, la question de savoir comment soigner, former, voire guérir les malades mentaux. On assiste au même moment à l'essor de nouvelles techniques et de nouvelles sciences, comme la psychologie, pour expliquer ce qu'est la folie et comment l’appréhender.
Foucault s’intéresse dans ce chapitre au travail de deux importants concepteurs et administrateurs d'asiles.
Le premier était Samuel Tuke, fondateur de la Tuke Retreat en Angleterre. Tuke était un quaker - un membre d’une église protestante - et ses méthodes de traitement étaient basées sur des préceptes religieux. Son objectif était d'amener le fou à accepter sa culpabilité et ses actions afin de réapprendre à fonctionner sainement. Une observation constante, ritualisée tout au long du séjour, devait permettre au fou d'être jugé et d'apprendre à se juger. Tuke croyait que cela le conduirait à mettre en adéquation son comportement et une vision morale du monde.
Pour atteindre cet objectif, Tuke conceptualisa la retraite comme une famille. Il pensait que les fous étaient des enfants qui avaient besoin d'être éduqués par une figure paternelle. La folie n’était pas tant une maladie qu’une rébellion contre l'autorité familiale à laquelle les enfants doivent apprendre à obéir. Puisque les enfants, même s’ils dépendent de leur famille, ne sont pas enfermés, les patients pouvaient eux aussi se déplacer à leur guise. Ils restaient cependant moralement soumis à un système normatif rigide. Cela symbolise, pour Foucault, le fait qu’on ne souhaitait pas libérer la folie de ses chaînes, mais plutôt la contrôler grâce à des normes.
Le second concepteur d'asile que Foucault étudie est Philippe Pinel. Pinel était plus sceptique à l'égard de la religion que Tuke, mais il privilégiait comme lui une explication morale de la folie. En d'autres termes, il considérait lui aussi la folie comme un échec moral. Son code moral, lié à son milieu social, était fondé sur des valeurs familiales et économiques. Cela signifiait qu’il fallait être un bon membre de la famille et un travailleur productif. Cette compréhension de la folie comme une violation de ces normes signifiait que la folie était essentiellement un “échec social”, une incapacité de l'individu à se conformer à la société. L’asile était alors essentiellement un “moyen d’uniformisation morale et de dénonciation sociale”.
Pinel a suivi trois grands principes pour atteindre son objectif d'adaptation sociale. Le premier était le silence : laisser le fou seul l'obligerait à réfléchir et à affronter ses échecs sociaux. Deuxièmement, de la même manière, le fou était encouragé à se regarder dans le miroir, là où l’asile de Tuke préférait au contraire qu’il soit observé par d‘autres personnes. Troisièmement, ce sens de l'auto-observation constante était censé conduire au "jugement éternel". Les fous, en se surveillant constamment, devaient évaluer leurs actions par rapport aux normes sociales et apprendre à ne pas les transgresser.
Pinel et Tuke, en France et en Angleterre, ont utilisé différentes techniques dans différentes institutions. Cependant, Foucault conclut ce chapitre en soulignant que leur point commun était d’avoir contribué à l’essor du “personnage médical”. Rappelons qu'au début de la période classique, les hôpitaux généraux étaient essentiellement des prisons dirigées par des geôliers. Les asiles de Tuke et Pinel étaient quant à eux gérés par des médecins, car on commençait à penser qu’il leur fallait un système de connaissances médicales adaptées plutôt qu’une application rigide du droit pénal. L'idée selon laquelle les asiles devaient être gérés par des médecins légistes fut transposée dans la conception plus moderne de la folie. Foucault s’adresse à la fin du chapitre à Sigmund Freud, qui a créé la psychanalyse, discipline dans laquelle le psychanalyste est chargé du traitement du patient
Dans sa conclusion, Foucault s'interroge sur le rapport entre l'art et la folie dans la culture occidentale. Nous avons tendance à être obsédés par des artistes que nous pensons fous, comme Vincent van Gogh. En fait, Van Gogh considérait que sa folie et son art étaient incompatibles. À certains égards, l'art est à l'opposé de la folie, car il est créé par quelqu'un de sensé qui est capable de communiquer avec le spectateur. Foucault conclut que la folie ne réside pas dans l'œuvre d’art elle-même, mais plutôt dans l’interaction entre l'œuvre et le monde qui la juge. Les personnes qui ont essayé de dompter la folie sont finalement confrontées à un art qu’elles auraient détruit si elles avaient éliminé la folie de la société.
Foucault écrit ainsi que “ceux qui pensaient mesurer et justifier la folie grâce à la psychologie doivent désormais se justifier devant la folie elle-même”. Ainsi, l’art peut être pensé comme un nouveau rapport entre la folie et la civilisation, en ce qu’il émane de la civilisation mais nous fait nous confronter à la folie.
Analyse
Ces chapitres concluent le discours de Foucault et couvrent la fin de la période étudiée, c’est-à-dire la fin du XIXe siècle. Le dénominateur commun des périodes étudiées était l’enfermement, qui est le thème principal du livre. La cible de l'enfermement changea plusieurs fois au cours de l’Histoire, tout comme sa signification. Il y eut d’abord la lèpre au Moyen Âge, puis la catégorie plus large de la “déraison”, qui comprenait la pauvreté, le crime et la folie. À la fin de son histoire, la folie se voit attribuer ses propres significations et ses propres institutions.
Foucault étudie longuement le développement des institutions dédiées à la folie. Nous avons déjà vu que le pouvoir et la connaissance vont de pair : le pouvoir crée de nouvelles informations, qui modifient la façon dont les gens sont perçus et classés, selon des catégories gérées par le pouvoir. Un nouvel alliage entre le pouvoir et le savoir se manifeste à travers la création d'une nouvelle institution. Ainsi, la compréhension de la folie et la capacité à enfermer les personnes concernées se mêlent dans « la naissance de l'asile », par opposition aux prisons, aux refuges pour sans-abri, etc.
Dans ces passages, Foucault compare deux créateurs d'asile, Tuke et Pinel, et démontre en quoi leurs méthodes et leurs contextes diffèrent. Il s'intéresse également à leurs points communs, notamment aux pouvoirs qu’ils accordent aux médecins pour gérer à la fois les asiles et les patients. C’est un exemple de la méthode de Foucault : il recherche les points communs entre plusieurs problèmes simultanés, ici, l’émergence du médecin en tant qu'autorité. Dans les chapitres précédents, il s’agissait de la façon dont différentes maladies, la manie, la mélancolie, l'hystérie et l’hypocondrie, ont toutes été perçues différemment avec le temps, les causes qu’on leur attribuait ayant d’abord été physiologiques puis psychologiques.
La critique de Foucault du développement de l’autorité des médecins préfigure une partie du travail historique qu'il fera plus tard dans sa carrière. Par exemple, Foucault propose ici un lien entre Tuke, Pinel et le père de la psychanalyse, Sigmund Freud, dont les travaux eurent une grande influence au début du XXe siècle. Comme Foucault le décrit plus tard dans son Histoire de la sexualité, la psychanalyse part du principe que le psychanalyste détient la clé pour libérer le patient de la maladie, et que son rôle est de guider le patient pour affronter et traiter sa psychose. Foucault est circonspect face à cette dynamique où des experts ont une compréhension et un contrôle absolus de la vie humaine.
Une seconde critique formulée à la fois dans la conclusion de Histoire de la folie à l’âge classique et dans certains travaux ultérieurs de Foucault concerne la fonction de la famille. Pour Tuke, selon Foucault, la famille permettait de soigner les patients, et les asiles étaient censés simuler des familles pour guérir la folie. Cela pouvait conduire à la prédominance de certaines valeurs familiales, ce qui finissait par limiter le comportement de l’individu. La famille semblait être la pierre angulaire de la société et les personnes qui n'en ont pas étaient automatiquement considérées comme anormales ou folles. Foucault se méfie donc de cette équation où famille égale santé mentale.