L’ironie du confinement
En parlant de la Nef des fous, où l’on enferme ce qui est “absurde”, Foucault réfléchit à l'ironie de cette allégorie :
Enfermé dans le navire, d'où on n'échappe pas, le fou est confié à la rivière aux mille bras, à la mer aux mille chemins, à cette grande incertitude extérieure à tout. Il est prisonnier au milieu de la plus libre, de la plus ouverte des routes : solidement enchaîné à l'infini carrefour. (18)
D’un côté, les fous semblent être plus libres quand ils voguent sur la mer : l’étendue d’eau est large et libre, contrairement aux perspectives de ceux qui restent sur la terre ferme. Mais d'un autre côté, les fous sont coincés sur ce navire. Pour Foucault, cela symbolise bien la folie : elle est perçue comme libérée des contraintes de la réalité et des conventions sociales, mais cette liberté doit être contenue, précisément parce qu'elle menace l'ordre social.
L'ironie de la civilisation
Le titre de l’ouvrage de Foucault en anglais, Madness vs. civilization, soit « Folie et civilisation », souligne l’opposition frontale de ces deux sujets. D’un côté, la folie est généralement définie comme quelque chose d’étranger à la civilisation. Les personnes normales et civilisées sont saines d’esprit, tandis que les fous sont ceux qui n’arrivent pas à intégrer les normes sociales. D’un autre côté, Foucault souligne que c’est à la période classique que l’on commença à percevoir la folie comme quelque chose de causé par la civilisation. En effet, l’accroissement des connaissances scientifiques et la modernisation de la société purent faire que certaines personne se sentirent aliénées et étrangères à leur propre corps, et finissent par devenir folles. Cet étrange constat, selon lequel la folie est à la fois étrangère à la civilisation et causée par la civilisation, est justement le paradoxe que Foucault cherche à éclaircir.
L’ironie de la libération
Un thème qui revient tout au long de l'œuvre est que l'histoire n'est pas toujours progressive. En d'autres termes, les choses ne deviennent pas toujours meilleures, plus civilisées ou plus humaines. Ici, Foucault décrit le passage de la Renaissance à l'âge classique :
La Folie, dont la Renaissance vient de libérer les voix, mais dont elle a maîtrisé déjà la violence, l'âge classique va la réduire au silence par un étrange coup de force. (52)
Les représentations de la folie étaient omniprésentes à la Renaissance : elles étaient par exemple au cœur des pièces de Shakespeare. Mais dans la période qui suit, la folie est mise en sourdine ou réduite au silence.
L’ironie de l’humanisme
Foucault évoque également l'ironie de « l'apparition de l'asile ». Cette création d'espaces exclusivement réservés aux aliénés semble, de prime abord, être un traitement plus humain des malades mentaux, leur donnant un espace séparé, par exemple, des criminels. Cependant, Foucault soutient le contraire :
“ On voit comment a fonctionné, au XVIIIe siècle, la critique politique de l'internement. Pas du tout dans le sens d'une libération de la folie; en aucune manière, on ne peut dire qu'elle a permis de prêter aux aliénés une attention plus philanthropique ou plus médicale. Au contraire, elle a lié plus solidement que jamais la folie à l'internement, et ceci par un double lien; l'un qui faisait d'elle le symbole même de la puis sance qui enferme, et son représentant dérisoire et, obsédant, à l'intérieur du monde de l'internement; l'autre qui la désignait comme l'objet par excellence de toutes les mesures d'internement”. (421)
Il s’agit alors de protéger les prisonniers des fous, et non l’inverse. On a attribué aux maladies mentales des lieux et des traitements particuliers, non pas pour traiter les fous de façon plus humaine, mais pour les isoler des autres personnes, pour qui ils étaient perçus comme une menace.