Pour pouvoir soutenir le train de vie de Manon, Des Grieux risque le peu d’argent qu'il possède au jeu. Il entre, sur les conseils de Lescaut, dans la « Ligue de l’Industrie », une association qui l’initie au vol. Le héros devient alors rapidement un tricheur habile et rétablit l’état de ses finances. Mais l’argent qu'il remporte attire les convoitises et les amants se font voler la fortune amassée par leurs propres domestiques.
De nouveau dans le besoin, Manon Lescaut se fait entretenir, toujours sur les conseils de son frère, par le vieil M. de G.M. Elle annonce sa décision à Des Grieux au travers d’une lettre dans laquelle elle exprime sa peur de la misère et son amour pour le jeune homme. La colère de Des Grieux est grande mais Lescaut lui expose rapidement son plan lors d’une visite au chevalier. Le frère de Manon lui propose de tromper le vieillard afin d’en tirer de l’argent avant de prendre la fuite. Des Grieux, partagé entre plusieurs sentiments, se résigne à accepter son offre. Au cours d’une soirée, au cours de laquelle Des Grieux se fait passer pour le frère de Manon, ils escroquent tous les trois le vieil homme. Ce dernier s’aperçoit rapidement de la dupe et les fait arrêter trois jours plus tard. Manon est enfermée à l’Hôpital Général avec les prostituées et Des Grieux est conduit à la prison de Saint-Lazare. Spéculant sur la crédule bonté du Père Supérieur, Des Grieux espère obtenir sa libération. Effectivement M. de GM., sollicité, se laisse attendrir et rend visite à Des Grieux pour lui donner de sages conseils. Mais l’allusion à l’enfermement de Manon déclenche la colère du chevalier qui se jette sur le vieillard, mettant ainsi un terme à tout espoir de libération. Des Grieux, face au désespoir dans lequel la nouvelle captivité de Manon l’a plongé, avoue tout au Père supérieur.
Condamné à six mois d’enfermement, Des Grieux demande à pouvoir recevoir la visite de ses proches. C’est vers Tiberge que le captif se tourne afin s’obtenir de l’aide. Après s’être servi de son ami pour faire parvenir une lettre à Lescaut, un plan d’évasion se profile. Lescaut lui procurer une arme et Des Grieux parvient à s’évader en menaçant le Père supérieur. Dans sa fuite il tire sur un portier qui tente de lui barrer la route et le tue. Une fois libre, Lescaut et Des Grieux mettent en place une stratégie pour faire évader Manon. Pour cela, ils sollicitent M. de T, le fils d’un des responsables de l’Hospice afin d’obtenir une entrevue avec sa maitresse. À la suite d’une entrevue secrète après trois mois de séparation, Des Grieux est plus que déterminé à faire sortir Manon de sa prison. Avec la complicité de M. de T., il soudoie alors un valet et parvient à faire évader sa maitresse en la travestissant en homme. Les amants se réfugient ensemble chez Lescaut mais une imprudence de Des Grieux entraine une querelle avec le cocher à qui la somme d’un Louis d’or avait été vainement promise. Tous les trois décident de quitter l’endroit de peur d’être repérés mais le frère de Manon est brutalement abattu dans la rue par un ancien joueur qu’il avait ruiné.
Des Grieux et Manon retournent alors à Chaillot. Tiberge apporte une nouvelle fois un soutien financier au couple et Des Grieux sollicite l’aide de son père en lui assurant sa volonté de se repentir. Il compte ainsi vivre avec Manon tout en poursuivant ses études. Mais Des Grieux craint les conséquences de l’enlèvement de Manon et rend alors visite à Tiberge puis à M. de T. pour obtenir des conseils de leur part. Le récit de Des Grieux, qui selon le marquis, durait déjà depuis plus d’une heure, est alors suspendu pour le diner.
Analyse :
À ce stade du récit, Des Grieux, dont la vertu a déjà été mise à mal à plusieurs reprises depuis le début du roman, tombe dans une nouvelle forme de déchéance morale. Lescaut, figure de la tentation et du mal, entraine progressivement le chevalier dans le monde dangereux et interlope du jeu. Le héros semble se fondre rapidement au sein de l’association de tricheurs qui l’accueille à bras ouverts. La corruption de Des Grieux est presque irréversible et est mise en lumière par l’usage du mot « Ordre », pour qualifier l’organisation, faisant référence à l’ordre monastique que le héros a quitté. De plus, le lecteur assiste à une inversion paradoxale des valeurs. Les qualités morales et physiques de Des Grieux sont tournées au vice puisqu’elles constituent un excellent masque pour la tromperie. Ici, les thèmes du travestissement et de la dissimulation font écho au thème baroque du theatrum mundi mettant en scène le monde comme un théâtre, où chacun porte un déguisement. Des Grieux est emporté dans un mécanisme collectif efficace et bien organisé et dont la description du fonctionnement permet à l’auteur de faire une véritable satire sociale. La tromperie au jeu apparait alors comme une métaphore du jeu des relations sociales et l’usage du terme « société » pour désigner la Ligue généralise implicitement cette malhonnêteté à un cadre plus global. Le récit que Des Grieux fait au marquis de Renoncour parait presque naïf et le jeune homme se présente comme une marionnette de cette organisation. Cette posture du héros est matérialisée par l’usage de tournures passives. Mais la fausse naïveté avancée par Des Grieux n’est-elle pas un moyen pour lui de justifier ses crimes. En effet, devenu habile tricheur, le jeune homme semble même se prendre au jeu et le vocabulaire qu'il emploi associe ses actes à des connotations positives. Honteux des conséquences de ses escroqueries, il n’éprouve cependant aucun remord à ruiner les « honnêtes joueurs » qui se présentent à lui. C’est alors un triple aveuglement qui est ici mis en lumière par l’auteur : celui des joueurs volés, celui de Des Grieux, tombé dans le crime pour satisfaire sa maitresse et celui du lecteur, captivé par ces aventures et qui semble prendre plaisir à observer la décadence du héros.
La fatalité s’abat de nouveau sur les amants lorsque les gains remportés par Des Grieux leur sont dérobés par leurs domestiques. Le mécanisme du crime s’inverse : le voleur devient la victime. Ce retour de fortune peut ici apparaitre comme un avertissement de la part de l’Abbé Prévost à destination de son lecteur. Des Grieux garde son sang froid face aux malheurs qui les frappent, par peur de perdre sa maitresse une nouvelle fois. Mais le héros n’est pas au bout de ses aventures. La lettre de que Manon laisse à Des Grieux, alors qu'elle part se faire entretenir par le vieil M. de GM, est empreinte d’un grand lyrisme que la colère de Des Grieux égale en intensité. Le héros, suite à l’offre faite par Lescaut, réfléchit sur son sort et semble exprimer du remord face aux actes qu'il a commis. Une nouvelle fois, Des Grieux est parfaitement conscient de la spirale infernale dans laquelle il est embarqué mais semble incapable de s’en extraire. Dans un long paragraphe réflexif, le héros fait part au lecteur de ses regrets sous la forme d’une accumulation de questions rhétoriques. La fatalité, que le héros cite lui-même, est trop puissante et il doit de nouveau s’y soumettre. Comme à plusieurs reprises dans le texte, le narrateur anticipe la suite du récit et fait pressentir au lecteur son futur malheur.
Un véritable vaudeville se met en place au moment du dîner avec le vieil M. de G.M. Des Grieux joue un rôle en se faisant passer pour le frère de Manon et le lecteur devient presque spectateur d’une mise en scène grandiose dans laquelle le jeu des apparences et l’artificialité sont les principaux acteurs. Le règne des faux semblants est notamment mis en exergue par l’emploi d’un vocabulaire qui renvoi à la tromperie et le champ lexical du théâtre est employé à dessein par l’auteur. Les amants mettent en place leur stratagème et dévoilent au lecteur leur caractère calculateur et dissimulateur. Ce jeu de tromperie dont il est le témoin participe au plaisir du lecteur qui devient alors presque complice de la scène.
L’arrestation et l’emprisonnement du couple atteste d’une forme de punition des personnages et permet à L’Abbé Prévost d’introduire plus explicitement la visée moralisatrice de son œuvre. De nouveau, l’enfermement de Des Grieux est employé comme moyen de faire revenir le héros dans le chemin de la vertu et de la religion cette fois incarné par la figure du Père Supérieur. Mais n’est-t-il pas trop tard ? En comparaison avec son premier enfermement, l’état d’esprit de Des Grieux est différent. Sentiments de « honte » et de « confusion » dominent. Le héros se rend peu à peu tragiquement compte où l’aveuglement de sa passion l’a mené et en ressent un fort sentiment d’humiliation. Sa passion amoureuse reprend petit à petit le contrôle après avoir été, un temps, mise en sourdine. Sa prise de contrôle totale sur Des Grieux s’exprime alors dans le comportement violent du jeune homme lors de la visite de M. de GM à Saint-Lazare. Dans le même temps, Des Grieux semble être devenu un expert dans le domaine de la manipulation. Il profite de la douceur et de l’indulgence du Père Supérieur et joue un « personnage d’hypocrite » dans le but s’accorder ses grâces et pouvoir s’échapper. Après celui de la honte, c’est le vocabulaire du mensonge qui prend le dessus. La trahison ultime est évidemment celle de Tiberge, une nouvelle fois trompé par son ami, mais dont la fidélité de faiblit pas. Cette tromperie suivie du meurtre du portier au moment de l’évasion achèvent de faire de Des Grieux un nouvel homme tombé dans le crime et la débauche. La mise en regard des termes « faiblesse » et « malignité » dans le texte permet de faire une synthèse du tempérament du héros que la passion a poussé au vice. La liberté, incarnée autrefois par l’amour que Des Grieux porte à Manon est désormais symboliquement incarnée par le pistolet qualifié d’« instrument de sa liberté ». Le renversement initié plus tôt dans le roman prend définitivement forme. Même Lescaut en vient à raisonner sagement, à l’inverse de Des Grieux qui, poussé par sa passion, est désormais prêt à tout pour retrouver sa maitresse. Tout ce que Des Grieux s’était auparavant refusé à accepter vole en éclat au profit de grands remords puis d’une certaine indifférence. Le héros n’hésite désormais plus un instant à jouer de la générosité de son entourage et des charmes de sa maitresse afin de la faire libérer. Un nouvel adjuvant apparait en la figure de M. de T, fils de l’administrateur de l’Hôpital général, que Des Grieux manipule à son tour. Ce dernier, au moment des retrouvailles entre Manon et Des Grieux prononce alors la phrase suivante : « Je vous porte envie […], il n’y a point de sort glorieux auquel je ne préférasse une maîtresse si belle et si passionnée. », ce à quoi Des Grieux lui répond « Aussi mépriserais-je tous les empires du monde […] pour m’assurer le bonheur d’être aimé d’elle. » justifiant par là ses comportements déviants.
Les événements s’enchainent alors rapidement, comme un déferlement de malheurs sur le couple : la libération de Manon suivie de la dispute avec le cocher et de la mort de Lescaut apparaissent à Des Grieux comme des signes de la « Providence ». Le rythme du récit s’accélère avant de s’apaiser à l’arrivée du couple à l’auberge de Chaillot. La fin de la première partie du roman laisse entrevoir une forme d’instabilité de la part de Des Grieux qui, assis seul dans l’herbe à l’image d’un héros romantique, introduit de nouveau au lecteur ses doutes et des inquiétudes. Le jeune chevalier navigue à vue sur cette « mer de raisonnement » et trouve finalement sa bouée de sauvetage en la figure de Tiberge.