Durant plus d’un an, Des Grieux se guéri de sa passion et se remet lentement de sa mésaventure en compagnie de son ami. Il décide de poursuivre ses études de théologie au séminaire où il trouve le chemin de la foi et de la sagesse à travers l’étude et la lecture.
Mais un jour, alors que tous le croyaient guéri, Manon rend visite à Des Grieux au parloir de Saint Sulpice et la passion du héros se ravive au premier regard. Durant un long tête à tête, la jeune femme lui avoue sa trahison et le supplie de lui pardonner, tandis que Des Grieux, ayant gagné en lucidité préfigure déjà les lourdes conséquences que sa décision engage. Une lutte intérieure s’engage opposant la raison du personnage et sa passion dévorante. Malgré sa prise de conscience du caractère léger et vénal de sa maitresse ainsi que du destin tourmenté vers lequel il se dirige, Des Grieux se soumet à sa passion qui apparait ici comme une forme de fatalité, et s’enfuit avec Manon.
Manon quitte M. de B, le fermier général à qui elle a soutiré de l’argent et les deux amants s’installent à Chaillot, un village situé non loin de Paris, loin des tumultes de la ville. Mais Manon aime les plaisirs et s’ennuie rapidement à la campagne. Les amants décident de louer un appartement à Paris et partagent leur temps entre la ville et la campagne. Manon et Des Grieux vivent alors ainsi quelques temps, heureux et amoureux, jusqu’à ce que le tempérament dépensier de Manon mette de nouveau en péril le ménage. Des Grieux, malgré ses résolutions, Des Grieux est terrifié à l’idée de perdre sa maitresse et n’hésite pas à dilapider sa fortune pour la satisfaire.
Une série de malheurs s’amorce alors et précipite les amants dans la débauche. Lescaut, le frère de Manon, fait son entrée dans la vie du couple après avoir reconnu sa sœur en l’apercevant le matin à sa fenêtre. Après une première rencontre brutale au cours de laquelle Lescaut surgit dans l’appartement du couple et injurie Manon, il s’installe finalement dans leur maison de Chaillot. Vivant aux frais du couple, Lescaut dépense sans gêne leur fortune. Manon, ravie de retrouver son frère ne montre aucune opposition à son comportement violent et intrusif.
Un matin, une domestique avertit Des Grieux, qui se trouvait alors à Paris, qu'un incendie avait brûlé leur maison de Chaillot durant la nuit et, avec elle, toute leur fortune. Des Grieux comprend alors qu'il risque de perdre à nouveau sa maitresse et, sur le chemin pour Chaillot, laisse au lecteur l’accès à ses pensées tourmentées. N’ayant plus que vingt pistoles en poche Des Grieux se résout à demander conseil à Lescaut qui lui suggère alors de vendre les charmes de sa sœur ou encore de se faire entretenir par une riche dame. Des Grieux refuse dans un premier temps avant d’envisager plus sérieusement la piste du jeu. Après une longue réflexion sur les solutions qui s’offrent à lui, Des Grieux décide de solliciter son ami Tiberge à qui il donne rendez-vous au jardin du Palais-Royal. Au cours de cette entrevue, Des Grieux profite de la générosité et de la fidélité de Tiberge obtenir de lui de l’argent.
Analyse :
Durant sa captivité de 6 mois dans ce qu'il qualifie de « prison », Des Grieux est partagé entre les sentiments de haine et d’amour, d’espérance et de désespoir. Le processus de guérison de ce que tous considèrent comme une maladie s’opère progressivement et par étapes. La rédaction d’un commentaire amoureux sur le quatrième livre de l’Eneide prouve cependant que Des Grieux n’est pas encore guéri de ses blessures et la mention tragique de l’histoire de Didon qui, suite à la mort de son mari, se suicida pour échapper aux avances d’un autre homme laisse un goût amer à l’histoire du jeune homme. C’est le discours de Tiberge, fidèle ami de Des Grieux, qui fait naitre en lui la volonté de renoncer aux plaisirs et de se tourner vers le chemin de la religion. S’opère ici un revirement radical pour le héros qui semble vouloir retrouver le chemin de la vertu dont la ferveur amoureuse se transforme en ferveur religieuse. Deux ans s’écoulent ainsi en quelques pages, grâce à un procédé d’ellipse temporelle, jusqu’à l’introduction d’un élément perturbateur : Manon.
La visite de Manon au parloir de Saint Sulpice est un passage d’une importance cruciale qui illustre la rechute de Des Grieux, que le lecteur croyait guérit, et qui met en scène la force implacable de la fatalité et de la passion amoureuse. Manon fait son retour dans la vie du chevalier, telle une véritable apparition divine. Au premier regard, le héros est hypnotisé par la beauté de la jeune femme, présentée comme l’allégorie de l’amour même. La souffrance et l’amour sont intimement liés dans ce passage du roman puisque la flamme de chevalier se rallume en même temps que la plaie provoquée par la trahison. Ce topos du mélange entre amour et douleur s’exprime à travers des émotions intenses et contradictoires que le héros dit, dans une forme de prétérition, être incapable d’exprimer. Ce mutisme fait écho à celui du chevalier lors du diner de la première trahison, créant ainsi un lien implicite entre les deux épisodes. Le déséquilibre qui s’instaure dans leur échange et l’attitude presque théâtrale de Manon laissent planer la sincérité des larmes de Manon. Des Grieux lui même n’est pas totalement dupe et sa réaction laisse entrevoir au lecteur une forme de lucidité. Ses sentiments sont décrits avec un vocabulaire associé à la peur faisant de ces retrouvailles le moment de bascule vers un monde dangereux et préfigurant la suite des aventures des deux amants. Parfaitement conscient que l’attitude de Manon n’a pas radicalement changé, sa lucidité patente est cependant inexorablement balayée par sa passion qui surpasse alors tous les autres sentiments. Bien qu'il préfigure les malheurs à venir et les conséquences de son choix (« je vais perdre ma fortune et ma réputation pour toi, je le prévois »), Des Grieux se soumet à la fatalité de sa passion amoureuse. L’affirmation de son amour inconditionnel illustre la force exercée par la passion, capable de terrasser la raison en un instant et fait écho à la citation de Blaise Pascal : « Le cœur a ses raisons que la raison ignore ». La dangerosité de la beauté de Manon et préfiguration du malheur vers lequel elle conduit Des Grieux en font une figure de femme fatale. Une seule entrevue aura suffit à faire voler en éclat les deux ans passés dans le chemin de la vertu. Ces retrouvailles qui marquent un tournant dans le récit et illustrent la force de la passion amoureuse et son triomphe sur la vertu et la raison. Une nouvelle fois, Des Grieux tombe dans le piège de Manon dont la sincérité est mise en doute par l’auteur. À ce stade du roman, la lucidité du héros sur son destin éclaire le lecteur.
Le départ de Paris pour Chaillot, semblant sonner le début d’une nouvelle vie pour le couple, montre en réalité une forte attache du couple à leur ancienne vie. Sans surprise pour le lecteur, les résolutions des amants et les promesses de Manon ne durent guère longtemps. L’argent devient alors la préoccupation principale des amants et Des Grieux, terrifié par l’idée d’un nouvel abandon, se plie au moindre désir de sa jeune maitresse.
Une nouvelle fois, la fatalité rattrape les amants et l’enchainement de malheureux évènements conduit rapidement le couple à la misère. Des Grieux ne s’inquiète pas tant sur la perte de sa fortune que sur la réaction de Manon. La panique générée chez le héros à l’annonce de l’incendie est retranscrite dans le texte par l’usage d’un vocabulaire sombre évoquant la mort et par la succession de phrases à la ponctuation forte. Les questions posées par Des Grieux ne trouvent cependant pas de réponse et laissent place à un sentiment de désespoir. La proposition de Lescaut de prostituer sa propre sœur pour remédier à leur misère achève d’en faire un personnage monstrueux, prêt à tout pour servir ses intérêts. Cette suggestion amorce cependant déjà la débauche dans laquelle les personnages tomberont bientôt.
Le contraste entre la figure de Lescaut est celle de Tiberge apparait alors frappante. Des Grieux n’hésite pas à tromper une nouvelle fois son ami pour obtenir ses faveurs. De plus, le déséquilibre entre la sincérité des sentiments et les conseils sage du jeune homme et les intentions du chevalier offre un spectacle tragique au spectateur. La fidélité affronte ici la débauche et la trahison. Le combat entre la vertu et la passion est d’ailleurs explicitement évoqué par le héros et cet affrontement pourrait alors, en un certain sens, être considéré comme le sujet central du roman.
Des Grieux conscient des méfaits qu'il commet, « aux point de déplorer l’aveuglement d’un amour fatal, qui [lui fait] violer tous les devoirs » s’enfoncent cependant progressivement dans la débauche et le mensonge qu'il qualifie de « cruelle nécessité ».