Au Châtelet, Des Grieux reçoit la visite de son père qui obtient sa libération mais condamne Manon à être déportée en Amérique dans un convoi de prostituées. Une fois libéré, Des Grieux apprend le départ prochain de sa maitresse. Il essaye par tous les moyens de la faire libérer et projette, en vain, d’attaquer les archers qui escortent le convoi vers le Havre de Grâce. Les hommes qu'il avait embauchés pour enlever Manon désertent au moment d’agir et, face à cet échec, Des Grieux décide de suivre Manon dans son exil.
C’est sur le chemin pour l’Amérique qu'il rencontre pour la première fois Renoncour, l’homme de qualité à qui il conte ses péripéties.
Des Grieux embarque alors en tant que volontaire pour les Amériques. Avant son départ, il écrit une lettre à son ami Tiberge sans laquelle il sollicite son secours. À bord du bateau, il prétend être le mari de Manon Lescaut. Le capitaine, sensible à la situation du couple, laisse Des Grieux veiller sur sa maitresse. Après deux mois de traversée, le navire arrive à la Nouvelle Orléans. Le couple obtient rapidement la protection du Gouverneur et prétendent de nouveau être mariés. Leur vie calme et régulière est bouleversée par le neveu du gouverneur, Synnelet, qui tombe amoureux de Manon. Lorsque le Gouverneur apprend que le couple n’est, en réalité, pas légalement marié, il décide d’offrir Manon en mariage à son neveu. Des Grieux provoque en duel Synnelet et le blesse. Pensant l’avoir mortellement touché au cours du duel qui les opposait, Des Grieux et Manon prennent la fuite ensemble dans le désert. Manon décède d’épuisement sous les yeux impuissants de Des Grieux. Ce dernier, décidé à se laisser mourir à son tour, ensevelit sa maitresse et se couche sur sa tombe.
Synnelet s’étant remis de sa blessure part à la recherche de Des Grieux. Ce dernier est ramené en ville et placé en prison dans l’attente de son procès. Accablé par l’annonce de la mort de Manon, le neveu du Gouverneur obtient la grâce pour Des Grieux. Plusieurs semaines s’écoulent alors durant lesquelles Des Grieux se rétablit progressivement. Rejoint par son ami Tiberge à qui il fait le récit de ses aventures, le jeune homme finit par rentrer en France quelques mois plus tard. A son retour, il est informé du décès de son père. Il prend enfin la route pour rencontrer une deuxième fois Renoncour, l’homme de qualité à qui il fait ce récit.
Analyse :
La dernière partie du roman s’ouvre sur l’interaction entre Des Grieux et son père. Mais ces retrouvailles se révèlent en fait être une séparation entre les deux personnages. Le lecteur assiste à un véritable duel dans lequel deux plaidoiries s’affrontent. Le désespoir du chevalier est à son comble et ses réactions dessinent un tableau pathétique de ses émotions renforcé par l’usage d’une ponctuation expressive. Mais face au discours de son fils, l’attitude du père s’affirme. Son inflexibilité est mise en lumière dans le texte à travers l’usage de phrases impératives retranscrivant un ton rude et sec. La rupture entre le père et le fils se matérialise de façon symbolique par une distanciation physique. La communication entre les deux personnages devient peu à peu impossible et la rupture semble inéluctable. La fin de cette relation entre Des Grieux et son père marque la déchéance inévitable du héros et l’expression « éternel adieu » préfigure la fin tragique du roman.
Le départ pour l’Amérique semble être le signe d’un nouveau départ pour Manon et Des Grieux et laisse espérer au lecteur une fin idyllique pour les amants, loin de la métropole. La Nouvelle-Orléans est louée à plusieurs reprises par Des Grieux qui insiste sur les bienfaits de ce nouveau territoire ainsi que sur le dépouillement de la vie Outre-Atlantique, « sans intérêt, sans jalousie, sans inconstance ». L’auteur, à travers les mots de Des Grieux, présente l’Amérique comme un lieu salvateur ou le « véritable amour » sera dépouillé des passions néfastes. Pour la première fois de tout le roman, les amants semblent filer une existence modeste mais sereine. Le couple semble désormais assagi et l’idée de rédemption s’illustre à travers la recherche d’un nouvel équilibre fondé sur un ensemble de valeurs authentiques. Le bonheur semble enfin accessible dans ce nouveau territoire qui offre la promesse d’une vie purifiée des déviances libertines. Même Manon semble se laisser séduire par la conception chrétienne du bonheur. De manière tragique, c’est le projet de leur mariage, symbolisant le retour des amants dans le chemin de la morale, qui va alors causer leur perte. Ainsi, l’auteur donne l’illusion d’une fin idyllique dans le but de renforcer le caractère tragique de la fin du roman.
Le récit de la mort de Manon annonce et accélère la fin du récit que Des Grieux fait au marquis de Renoncour. Le narrateur commence son récit par une prière destinée à la fois à son interlocuteur et au lecteur par un effet de mise en abyme : « pardonnez si j’achève en peu de mots un récit qui me tue. ». Cette phrase, constituée de termes mono ou bi-syllabiques, illustre d’emblée la douleur éprouvée par Des Grieux au moment de revenir sur cet événement tragique. De plus, l’annonce de la mort de Manon n’est, dans un premier temps, pas directement désignée par le narrateur mais plutôt évoquée par le biais de périphrases hyperboliques qui renforcent la souffrance du personnage. C’est le récit d’une tragédie que Des Grieux s’apprête à faire. Le changement de temps du présent au plus que parfait indique au lecteur le début du récit de la mort de Manon. La scène se déroule dans le désert où les amants ont fuit. Associée au sommeil, la mort de Manon est évoquée avec noblesse et pudeur et le début du récit est marqué par une forme de tranquillité et de douceur. La jeune femme semble pourtant consciente de l’imminence de sa mort et fait d’ailleurs part de sa faiblesse à Des Grieux, enfermé dans un déni protecteur. Une rupture s’opère soudain, soulignée par l’usage de la conjonction de coordination « mais » qui montre la prise de conscience du héros. Les « soupirs » de Manon laissent rapidement place au « silence » et le pronom « nous » disparait au profit des pronoms « je » et « elle » évoquant la séparation des amants à travers la mort. La fin du récit débute par périphrase désignant la mort de Manon comme « la fin de ses malheurs ». Le narrateur suggère alors que sa mort intervient comme une libération pour elle, de manière à la sublimer. Le dernier mouvement du texte opère un retour au présent du narrateur. Des Grieux, incapable de poursuivre, achève le récit de la mort de Manon par une formule brève « je la perdis » visant à exprimer sa douleur. Des Grieux est alors présenté en posture de héros tragique, puni par le Ciel et condamné à la souffrance.
Après la mort de Manon, le récit s’accélère de nouveau. Des Grieux livre une forme de « conclusion », qu'il qualifie comme étant de « peu d’importance », à son récit. Sa découverte par les hommes du Gouverneur, sa grâce suite à son procès, ainsi que son long rétablissement sont résumés en quelques lignes seulement. La rapidité des évènements relatés par le narrateur permettent à l’auteur de jouer sur le contraste avec le récit dilaté de la mort de Manon qui le précède. Le narrateur accélère ensuite la fin de son histoire par un procédé d’ellipse temporelle lui permettant de condenser plusieurs mois de sa vie en Louisiane avant de l’achever par son retour en France accompagné de son fidèle ami Tiberge. L’arrivée de Tiberge à la Nouvelle-Orléans constitue d’ailleurs le dernier rebondissement inattendu du roman et peut symboliser une forme de grâce (presque religieuse) accordée au héros. L’abnégation de Tiberge affirme une nouvelle fois son rôle d’adjuvant et de protecteur dans le roman. Ainsi, la fin du roman opère une forme de retour à la norme pour le personnage et semble clore la boucle de ses aventures. Le choix d’écrire à sa famille dès son arrivée apparait comme un acte symbolique qui témoigne de l’évolution de Des Grieux. Ainsi, les aventures traversées par Des Grieux prennent la forme d’un voyage initiatique pour le héros. L’auteur poursuit son roman après la mort de Manon de manière à dresser les apprentissages que le jeune homme a pu tirer mais aussi à illustrer son retour sur le chemin de la vertu. La fin du roman concrétise la portée moralisatrice du récit qui prend son sens au-delà du caractère romanesque du récit et confirme donc la double ambition de l’Abbé Prévost de plaire et instruire son lecteur. Cependant, cette dimension moralisante prônée par l’auteur n’empêcha pas le roman d’être censuré à sa publication en France.