L'Inquiétante étrangeté

L'Inquiétante étrangeté Résumé et Analyse

Chapitre II

Après avoir terminé son analyse linguistique, Freud procède maintenant au recueil des exemples de l’inquiétante étrangeté et essaye de découvrir ce qu’ils ont en commun. Il commence par l’exemple donné par Jentsch : l’incertitude de savoir si un objet inanimé, par exemple une poupée, pourrait être vivant, ou à l’inverse, si un objet qui semble être vivant serait un automate, c’est à dire un robot.

Jentsch distingue l’auteur allemand E.T.A. Hoffmann, et son histoire L’Homme au sable comme un exemple magistral de ce genre de vécu d’inquiétante étrangeté. Freud propose d’étudier l’histoire de plus près et commence par un court résumé de l’œuvre. Un étudiant nommé Nathanäel est hanté par les souvenirs d’enfance de la mort de son père. Lorsque Nathanäel était enfant, sa mère l’envoyait se coucher tôt, disant qu’il était l’heure de la visite de l’homme au sable. Elle insistait sur le fait que cette personne n’était pas réelle, mais la nuit, Nathanäel semblait l’entendre dans les escaliers. Une infirmière lui dit en riant que l’homme au sable était un monstre qui vole les yeux d’enfants coquins pour nourrir ses propres enfants sur la lune.

Nathanäel est déterminé à découvrir à quoi ressemble l’homme au sable. Il se cache dans la salle d’étude et découvre Coppelius, un homme grotesque et antipathique, et ami de son père. Les deux hommes sont en train de faire une étrange expérience avec le feu. Nathanäel crie, et Coppelius le saisit, menaçant de lui mettre des grains de sable brûlants dans les yeux. Son père supplie Coppelius d’épargner son fils, et Nathanäel s’évanouit. Lorsqu’il revient à lui, quelques jours plus tard, il apprend que son père a été tué dans une explosion dans la salle d’étude. Coppelius a quitté la ville. Le lecteur ignore dans quelle mesure cette scène a été marquée par la panique, ou aurait été influencée par l’histoire de l’infirmière et à quel point elle est réelle.

Adulte, étudiant en Italie, Nathanäel pense reconnaître Coppelius lorsqu’il rencontre Guiseppe Coppola, opticien qui vend des lunettes. Coppola prétend « vendre des yeux ». Nathanäel est soulagé de constater que ce ne sont que des instruments optiques, et il achète un télescope de poche au vendeur. Il l’utilise pour regarder dans la maison du professeur Spalanzani, qui vit en face, et voit la belle fille immobile du professeur, Olympia. Il tombe amoureux d’elle.

Après avoir courtisé Olympia, Nathanäel est horrifié de découvrir qu’elle est un automate fabriqué par le professeur. Coppola est celui qui a fourni les yeux pour la fabriquer. Nathanäel entre et trouve les deux hommes qui se battent pour elle. Ils la déchirent. Spalanzani jette ses yeux sanglants sur Nathanäel, et dit qu’ils lui ont été volés. Nathanäel a une autre crise de folie où se confondent le souvenir de la mort de son père et cette expérience. Il essaie d’étrangler Spalanzani.

Nathanäel se remet d’une longue maladie. Avec sa fiancée, Clara, ils gravissent la tour de la ville. Clara remarque quelque chose dans la rue, et Nathaniel utilise sa lunette pour le regarder. Il recommence à devenir fou en criant « Tourne-toi, ma poupée de bois! », les mêmes mots qu’il criait à Olympia dans le bureau du professeur. Dans sa folie, il essaie de jeter Clara de la tour. Son frère se précipite pour la sauver, et Nathanäel saute quand il voit Coppelius dans la foule en bas. Les derniers mots de Nathanäel sont : « Beaux yeux, beaux yeux ! ».

Freud commence son analyse de l’histoire en considérant le sentiment d’inquiétante étrangeté souvent attaché à l’idée de perdre les yeux. Il pense que l’accent mis par Jentsch sur l’incertitude intellectuelle au sujet de l’automate (Olympia) omet ce sujet évident. Freud est en accord avec Jentsch sur le fait que le monde de Hoffmann est rempli d’éléments surnaturels, et que le lecteur n’est jamais sûr s'ils sont réels. Mais Freud soutient qu’à la fin de l’histoire Hoffmann établit que Coppelius et Coppola sont une seule et même entité. Par conséquent, l’incertitude intellectuelle n’est pas la véritable source du sentiment étrange et inquiétant de « l’homme au sable ».

Sur la base de ses recherches en tant que psychanalyste auprès de patients névrosés, Freud observe que la peur de perdre ou d’endommager ses yeux est une peur infantile courante. Cette peur perdurerait souvent jusqu’à l’âge adulte. Freud note la présence de ce sentiment dans le dicton « la prunelle de mes yeux ». Dans les mythes et les rêves, devenir aveugle est souvent lié à la peur de la castration, comme dans la pièce de Sophocle Oedipe Rex. Quand un enfant (garçon) développe une pulsion sexuelle, il commence à craindre que son père va le castrer pour éliminer la concurrence pour l’affection de sa mère. Selon Freud, les yeux et les organes génitaux masculins se substituent souvent les uns aux autres dans notre esprit, suscitant des émotions « violentes et obscures ».

Freud pense que L’Homme au sable confirme son point de vue. L’histoire fait un lien entre la peur de perdre les yeux à la mort du père de Nathanäel. L’homme au sable à également à voir avec la capacité d’aimer, empêchant Nathanäel de vivre des plaisirs intimes en intervenant dans la relation de Nathanäel avec son fiancé, son frère et Olympia.

Dans une note de bas de page, Freud propose une lecture complète de L’Homme au sable. La figure de l’homme au sable représente l’image du père, divisée en deux : l’un (l’homme au sable/Coppelius) menace de le castrer, l’autre (le père de Nathanäel) l’aime et le protège ainsi que ses yeux. Le désir de mort de Nathanäel contre le père s’exprime par la mort du père.

La même structure est répétée avec le Professeur Spalanzani et Coppola. Nathanäel est attiré par Olympia parce qu’il s’est narcissiquement identifié à elle. Sa féminité représente sa propre position féminine envers son père, qui est son idéal masculin. Son amour pour elle est narcissique, elle ne dit jamais un mot ; Nathanäel est incapable d’aimer tant qu’il vit sous le complexe de castration paternel.

Si l’étrange sentiment attaché à la perte de la vue remonte à une peur infantile de la castration, d’autres phénomènes étranges, comme celle de la poupée vivante, sont-ils aussi des résidus de peurs de l’enfance ?

Les très jeunes enfants ne font pas de distinction entre les objets animés et inanimés, et traitent souvent les poupées comme si elles étaient vivantes. Cependant, les bébés ne trouvent pas la perspective de voir des poupées s’animer, effrayante. Paradoxalement, c’est souvent quelque chose qui les attire.

Mettant de côté ce problème, Freud se tourne ensuite vers d’autres effets étranges dans l’histoire d' Hoffmann. En plus de la peur de perdre ses yeux et la poupée vivante, il y a aussi le « double », soit des gens qui se ressemblent exactement. Les doubles dans la littérature partagent souvent des connaissances télépathiques, c’est-à-dire qu’ils partagent une conscience. Ce faisant, ils se dédoublent. Freud souligne également l’effet étrange du double au fil du temps, comme la répétition d’événements, de traits de caractère ou de visage, ou un nom récurrent à travers les générations.

Freud se tourne vers le psychiatre viennois Otto Rank, qui a écrit sur le double. Rank fait le lien entre le double avec les miroirs, les ombres et les esprits ; ces derniers auraient à voir avec la peur de la mort et la croyance primitive en l’âme immortelle. Dans les premières phases de l’humanité, le double était utilisé comme une réassurance contre la peur de la mort. " L’âme " elle-même, ce que nous croyons survivre à la mort physique, serait aussi une sorte de double, une négation du pouvoir de la mort. Nous doublons souvent les choses que nous craignons de perdre ; en raison de la peur de la castration, les symboles génitaux sont souvent doublés dans les rêves. À titre d’exemple, Freud souligne la pratique égyptienne de produire des images des morts.

Le double est également lié à ce que Freud appelle le narcissisme primaire vécu par les enfants et l’homme « primitif ». À mesure que la conscience se développe, le « double » peut prendre différentes significations. Il représente une faculté spéciale qui permet de s’observer et de critiquer notre propre conscience, une faculté qui traite le reste de notre esprit conscient comme un objet à observer. Narcissisme et autocritique sont donc liés.

Le double peut aussi servir de recueil pour des vies que nous n’avons pas vécues, des fantasmes qui ne sont pas réalisés, et toutes les pulsions refoulées qui nous font croire que nous avons un libre arbitre total. Néanmoins, aucun de ces facteurs n’explique pleinement le sentiment de l’inquiétante étrangeté que les doubles induisent souvent. Freud pense que l’aspect étrange et inquiétant du double vient du fait qu’il appartient à un stade antérieur de la conscience que nous aurions supprimé en nous socialisant. Maintenant ce sentiment de familiarité oubliée de notre conscience fait retour comme quelque chose de terrifiant, tout comme, dans l’histoire de la religion, les dieux qui ont été adorés dans une certaine période deviennent des démons dans la suivante.

Freud pense que les autres aspects de l’inquiétante étrangeté dans Hoffmann correspondent également à des moments dans le développement de la conscience, et seraient des résidus d’un narcissisme primaire quand la conscience ne s’était pas encore nettement distinguée du monde autour de lui, ou d’autres personnes. Ce narcissisme devait être dépassé et oublié pour que notre esprit conscient se forme.

Une autre expérience de l’inquiétante étrangeté largement partagée est un sentiment d’impuissance d’une répétition, que nous rencontrons souvent dans les rêves. Freud se souvient d’une époque où il marchait dans les rues désertes d’une ville italienne, où « on ne voyait que des femmes fardées [c.-à-d. des prostituées] » aux fenêtres. Peu importe les moyens pour y échapper, toutes les rues continuaient de l’y conduire. Le sentiment induit est un excellent exemple de l’inquiétante étrangeté.

Freud prend d’autres types de répétition involontaires en considération, comme certains hasards qui semblent fatidiques et inéluctables : par exemple le nombre 62 qui apparait encore et encore dans les adresses, les chambres d’hôtel ou les voitures de train. La répétition aurait un sens secret. Freud trace une source de l’inquiétante étrangeté dans la répétition à la répétition compulsive chez les nourrissons, et vraisemblablement chez tous les êtres vivants, autrement dit, la tendance des consciences non formées à répéter des comportements inlassablement.

En résumé : l’inquiétante étrangeté est causée par le retour des pulsions et des souvenirs de la toute prime enfance, des peurs et des désirs, qui ont dû être refoulés et dépassés pour développer notre conscience, et qui font retour plus tard. Freud propose maintenant de tester cette hypothèse en examinant quelques exemples littéraires.

Un exemple est celui de L’Anneau de Polycrate, un poème de Friedrich Schiller. Dans ce poème, le tyran jette un anneau orné de bijoux dans l’océan. Il est avalé par un poisson, qui sera pêché et servi à sa table ce soir-là, avec son invité. Ce dernier quitte alors les lieux subitement, proclamant que quelqu’un d’aussi chanceux est certain d’attiser la colère des dieux.

Freud décrit également un patient qui veut réserver sa chambre préférée dans une clinique d’hydrothérapie mais comme elle est déjà occupée par un homme âgé, il ne peut pas l’obtenir. Alors il souhaite à celui-ci « l’apopléxie », autrement dit, sa mort. À son grand désarroi, cet homme meurt réellement. Par ailleurs, Freud mentionne aussi des patients qui disent penser à quelqu’un et qui tombent soudainement sur eux par hasard dans la rue.

Freud relie ces exemples au mauvais œil, qui est la peur de subir une malédiction pour avoir eu envie d’attirer l’attention des autres. L’inquiétude est que ce focus intense transforme les pensées en actions.

Freud retrace l’origine de tous ces exemples à ce qu’il appelle la croyance en la toute-puissance des pensées. Il s’agirait de la croyance animiste de l’homme primitif dans le pouvoir de ses propres pensées à changer et contrôler le monde, et la croyance que le monde serait peuplé d’esprits (Freud appelle cela la pensée « magique »). Freud pense que chaque enfant traverse une phase comme celle-ci, puis la refoule et l’oublie à mesure que sa conscience se développe. C’est le rappel à son souvenir qui produirait l’effet de l’inquiétante étrangeté.

L’existence de l’inquiétante étrangeté établit donc l’une des idées fondamentales de la psychanalyse : les émotions refoulées produisent de l’angoisse ; ainsi l’angoisse ou le malaise viennent toujours signaler non pas quelque chose de nouveau et d’inconnu, comme le dit Jentsch, mais quelque chose de récurrent. Freud accepte la définition de Friedrich Schelling de l’inquiétante étrangeté comme quelque chose qui aurait dû être caché, mais qui est néanmoins apparu à la lumière de la conscience.

Freud prend en considération une expression allemande de la maison hantée : ein unheimliches Haus. Il est évident que ce qui rend une telle maison étrange et inquiétante est sa morbidité. Nous hésitons souvent à parler de la mort parce que nous ne pouvons jamais vraiment la saisir, et ne comprenons finalement jamais vraiment si cela doit être le destin de tous les êtres vivants. Beaucoup de gens rationnels croient encore à l’au-delà. Notre peur est enracinée dans la vieille croyance que celui qui meurt devient l’ennemi de celui qui lui survit, et veut l’emporter pour le rejoindre dans la mort. Freud croit que cette peur n’a pas été entièrement dissipée, mais plutôt refoulée.

Freud dit alors qu’il a abordé les principaux exemples, et en ajoute plusieurs autres : une personne que nous croyons capable de nous faire du mal pourrait venir à ses fins juste en le souhaitant ; ou encore l’épilepsie et la folie, que le Moyen Age attribuaient à l’influence démoniaque. Les membres démembrés, les têtes tranchées, les mains et les pieds coupées, tout cela renvoie a quelque chose d’inquiétant et étrange. Freud les relie au complexe de castration. Un autre exemple est d’être enterré vivant, que Freud interprète comme étant le retour du désir du nourrisson de retourner dans l’utérus.

Freud pense que l’effet de l’inquiétante étrange est souvent ressenti lorsqu’il n’y a plus de distinction entre l’imagination et la réalité. Pour les peuples primitifs comme pour les névrosés, c’est l’emphase excessive de la réalité psychique sur la réalité physique qui produit cet effet. Ils s’accrochent à la croyance que l’on pourrait contrôler le monde par ses propres pensées, croyance plus tard supprimée avec la maturation de la conscience. Freud perçoit cet effet dans l’exemple d’une histoire d’horreur d’un jeune couple marié qui se déplace dans un appartement disposant d’une table avec des sculptures de crocodiles, et qui progressivement prend conscience des crocodiles-fantômes qui hantent le lieu.

Freud clôt ce chapitre par l’observation d’un ultime spectacle, la plus belle de notre conception de l'inquiétante étrangeté : les organes génitaux féminins, ou le corps maternel : « Ainsi, dans ce cas encore, l'unheimliche est ce qui autrefois était heimisch, de tous temps familier. Mais le préfixe « un » placé devant ce mot est la marque du refoulement ».

Analyse

Le deuxième chapitre contient la majeure partie de l’argumentaire de Freud. Ici, la stratégie du psychanalyste est de rassembler une liste complète d’expériences et des effets de l’inquiétante étrangeté, et de travailler en revenant en arrière vers une théorie qui pourrait les expliquer tous. Freud pense que sa propre théorie réussit là où celles de Jentsch, Rank, et Schelling échouent.

Le lecteur contemporain familier avec les films ou la littérature d’horreur, pourrait être surpris par le nombre d’exemples de Freud qu’ils reconnaissent : le sentiment d’impuissance dans les rêves, être obligé de répéter quelque chose, les poupées et autres objets inanimés prenant vie, le double, le retour des morts, la maladie mentale, la perte des yeux, être enterré vivant… Cet essai de Freud continue de susciter de l’intérêt de nos jours.

Pour vérifier cela, Freud emprunte un peu à chaque théorie : le concept de l’inquiétante étrangeté lui-même est emprunté à Jentsch, et de plus, il est en accord avec l’affirmation de Schelling que l’inquiétante étrangeté serait le retour de quelque chose qui était censé être caché. Mais les principales idées de Freud viennent de sa pratique psychanalytique. L’inquiétante étrangeté a ses racines dans le rappel de souvenirs, de désirs et de peurs que nous avions dans l’enfance, ou des vécus qui remontent à des phases antérieures de l’humanité, qui auraient été dépassées ou refoulées.

L’étrange sentiment de familiarité qui distingue l’inquiétante étrangeté de la peur est alors une sorte de reviviscence, un souvenir de quelque chose que nous pensions ne jamais plus nous rappeler. Les poupées qui prennent vie nous rappellent notre croyance infantile qu’elles pourraient vraiment prendre vie, que le monde serait rempli d’esprits vivants que nous pourrions contrôler par nos pensées. La peur de perdre nos yeux rappelle la peur d’enfance de la castration par le père, dont Freud pense que tous les enfants (masculins) vivent lorsqu’ils prennent conscience de leur propre sexualité. La peur d’être enterré vivant serait en fait le souvenir de notre temps dans l’utérus.

Comme d’autres publications tardives de Freud, tels que Totem et tabou ou Malaise dans la civilisation, L’Inquiétante étrangeté établit un parallèle entre le développement de l’humanité elle-même et le développement des enfants. Freud pense que les enfants, tout comme les névrosés, possèdent naturellement des croyances qui font écho à celles de l’« homme primitif », surtout la croyance narcissique du pouvoir que nos propres pensées pourraient contrôler les objets et les événements dans le monde réel.

Par conséquent, bien que seules les personnes « névrosées », c’est-à-dire les personnes qui n’ont pas réussi à dépasser ces vécus antérieurs, soient sensibles à l’inquiétante étrangeté, il y a certains phénomènes, comme les doubles, qui sont reconnus comme universellement étrange et inquiétant. Comme pour de nombreux diagnostics établis par Freud, l’inquiétante étrangeté est à la fois une condition psychologique extrême et un fait constitutif de la conscience humaine.

Les nouveaux lecteurs de Freud trouvent souvent ses conclusions bizarres. Il faut noter, cependant, que la lecture que Freud fait de Hoffmann, L’Homme au sable est considérée comme définitive. (En Allemagne, le texte de Freud est souvent regroupé en une seule édition avec l’histoire de Hoffmann.) Freud a été le premier à noter le lien entre la dynamique familiale de la première moitié de l’histoire et l’épisode d’Olympia dans la seconde. Même les penseurs, ambivalents sur la psychanalyse, s’accordent à dire que l’amour narcissique de Nathanäel pour Olympia, qui n’a pas de personnalité et qui est, pour ainsi dire, une ardoise vierge sur laquelle il projette ses désirs, est symptomatique de l’expérience traumatisante de son enfance.

Ce que Freud laisse sans réponse, chose inhabituelle chez le psychanalyste, c’est la relation entre Hoffmann, l’auteur, et l’inquiétante étrangeté. Hoffmann emploie-t-il sciemment ce phénomène ? Est-il simplement en train de raconter ce qu’il pense être une histoire divertissante en utilisant des effets étranges et inquiétants pour la colorer ? L’histoire est-elle une allégorie de l’inquiétante l’étrangeté elle-même?

Dans une note de bas de page, Freud mentionne l’enfance malheureuse de Hoffmann comme une inspiration possible pour l’invention du personnage de Nathanäel. Chose inhabituelle chez Freud, il n’insiste pas sur ce point de convergence. L’analyse de Freud suggère qu' Hoffmann pourrait avoir été juste poussé à écrire une histoire effrayante ; dans le troisième chapitre de l’essai, Freud suggérera que l’effet peut, et serait souvent, délibérément et consciemment employé par les auteurs. Les questions de savoir pourquoi, et vers quel but les auteurs sont poussés à utiliser de l’inquiétante étrangeté seraient une des « difficultés » associées à l’esthétique, qui auraient rebuté Freud à écrire sur l’art en premier lieu. Mais comme nous le verrons dans le troisième chapitre, le véritable intérêt de Freud dans cet essai, se situe ailleurs.