Huit-clos

Huit-clos Résumé et Analyse

Résumé

La pièce s’ouvre sur Joseph Garcin, journaliste et homme de lettres selon ses propres mots, dans un salon décoré dans le style du Second Empire. Le salon est meublé d’une cheminée avec un ornement en bronze et de trois canapés de couleurs différentes. Il n'y a ni miroir, ni fenêtre. Un valet fait entrer Garcin et répond à ses questions. Garcin est apparemment en enfer. L’enfer semble être une série de pièces, chacune conçue dans un style qui convient à ses habitants. Garcin demande où sont les instruments de torture, mais apprend qu’il n’y en a pas. Il demande s'il y a une brosse à dents, mais là encore, la réponse est négative. Par ailleurs, en enfer, on ne dort pas. Garcin tente de se faire à l'idée de rester éveillé pour toujours – “Je vais vivre sans paupières ?”. Il peut actionner une sonnette s'il souhaite reparler au valet, mais, le valet le prévient qu’elle ne fonctionne pas toujours.

Très vite, Garcin se retrouve seul dans la pièce. Il essaie d'appeler le valet, mais ses efforts sont vains. Quand il se calme, le valet revient avec un nouveau personnage : Inès Serrano. Inès exige immédiatement que Garcin lui dise où se trouve Florence, mais il ne sait pas de qui elle parle. “Florence était une petite sotte et je ne la regrette pas” concède Inès. Quand Garcin lui demande qui elle pense qu’il est, elle répond : “Vous? Vous êtes le bourreau".

Une fois que Garcin a expliqué la situation à Inès, Estelle Rigault entre dans la pièce. Elle voit Garcin qui se tient le visage dans les mains et lui dit “Non ! Non, non, ne relève pas la tête. Je sais ce que tu caches avec tes mains, je sais que tu n'as plus de visage.”. Quand Garcin lève les yeux vers elle, elle réalise avec surprise qu’elle ne le connait pas. Il devient très vite évident qu’Estelle, Inès et Garcin sont condamnés à rester ensemble dans le salon pour toujours.

Inès fait immédiatement des remarques sur le physique d'Estelle. Son attirance pour Estelle est évidente et jouera bientôt un rôle majeur dans le récit. Pour l'instant, cependant, les personnages se présentent simplement les uns aux autres. Estelle est morte il y a seulement un jour, d'une pneumonie. Elle fait remarquer, observant ses propres funérailles, que “la cérémonie n'est pas achevée”. En effet, les personnages peuvent brièvement regarder le monde qu'ils ont laissé derrière eux, mais personne d’autre n'est au courant de ce qu'ils voient. Les visions sont localisées et basées sur la vie de chaque personnage avant sa mort. Estelle affirme avoir vu une fille nommée Olga accompagner sa sœur à l'enterrement. “C’était ma meilleure amie”, explique-t-elle.

Inès est morte depuis plus longtemps qu'Estelle – environ une semaine. La cause de son décès est, selon ses propres mots, la cuisinière à gaz. Garcin est décédé depuis environ un mois, de blessures par balles. Estelle, rebutée par la mort, suggère aux personnages de se désigner plutôt comme des “absents”.

La pièce propose ensuite plus de détails sur le passé des personnages. Estelle est Parisienne, mariée, une vraie mondaine au vu de sa dépendance à l'égard du maquillage et de son appréciation de l'esthétique de la pièce. Garcin est journaliste à Rio de Janeiro. Il est également marié. Inès est employée de la poste, célibataire. “Elle est en ordre, ma vie. Tout à fait en ordre.”, répond calmement Inès lorsque Garcin lui suggère de mettre son passé en ordre. “Elle s'est mise en ordre d'elle-même, là-bas, je n'ai pas besoin de m'en préoccuper.”. Garcin est sceptique et constate qu'il fait une chaleur étouffante dans la pièce. Il commence à enlever son manteau, mais Estelle le supplie de le garder, expliquant qu'elle déteste “les hommes en bras de chemise”.

Rapidement, les personnages comprennent que le temps ne passe pas à la même vitesse sur Terre qu'en enfer. Il est déjà minuit à Paris, et Olga se déshabille pour aller se coucher. “Comme le temps passe vite, sur terre.” s'exclame Estelle. Inès, pour sa part, aperçoit une chambre à louer, tandis que la vision de Garcin montre une caserne où sa femme n'a pas le droit d'entrer, puis une chambre pleine d'hommes. Estelle note nonchalamment qu'elle s'attendait à être regroupée avec ses proches. Elle se rappelle d’un ami charmant qui “dansait le tango comme un professionnel”.

Inès affirme que tous trois ont été placés ensemble dans le cadre d'un plan plus vaste. Rien, affirme-t-elle, n'a été laissé au hasard. Néanmoins, Estelle est convaincue que tout est un malentendu – y compris le fait qu'elle soit en enfer. Elle a épousé un homme plus âgé qu'elle, est tombée amoureuse d'un autre, et a refusé de quitter son mari pour lui. Doit-elle être punie pour sa fidélité ? De même, Garcin prétend n'avoir jamais rien fait de mal : il s'est opposé à une guerre pour des raisons pacifistes. Pour cela, il a été fusillé. Quelle logique y a-t-il donc à l'envoyer en enfer ? Inès, cependant, soutient qu' “il n'y a jamais d'erreur et on ne damne jamais les gens pour rien.”.

Les personnages conviennent que l'absence de tortionnaire signifie qu'ils sont eux-mêmes destinés à se torturer les uns les autres. Ils conviennent donc de ne pas interagir et de rester dans des endroits séparés. L'accord est rapidement rompu lorsqu’Estelle demande un miroir. Inès, sous le charme de la jeune femme, s'offre comme miroir, au travers du reflet de ses yeux et de sa propre description de l'apparence d’Estelle. Estelle aimerait que Garcin la remarque comme le fait Inès ; son besoin d'attention de la part d'un homme est palpable.

La conversation d'Inès et d'Estelle irrite Garcin. Il essaie de se concentrer sur la vision d’un certain Gomez (qui parle du passé de Garcin dans la chambre des hommes) et d'oublier les autres personnes présentes dans le salon. Inès se lance dans un court monologue en réponse :

“Ah! oublier. Quel enfantillage! Je vous sens jusque dans mes os. Votre silence me crie dans les oreilles. Vous pouvez vous clouer la bouche, vous pouvez vous couper la langue, est-ce que vous vous empêcherez d'exister ? Arrêterez-vous votre pensée ? Je l'entends, elle fait tic tac, comme un réveil, et je sais que vous entendez la mienne. Vous avez beau vous rencogner sur votre canapé, vous êtes partout, les sons m'arrivent souillés parce que vous les avez entendus au passage. Vous m'avez volé jusqu'à mon visage: vous le connaissez et je ne le connais pas.”.

Le paradigme existentiel essentiel de la pièce est ainsi établi. “l’enfer, c'est les Autres”, comme le dira Garcin à la fin de la pièce. Pour l'instant, cependant, les personnages acceptent de rompre le silence. Garcin n'a plus envie de dissimuler ses méfaits. Il avoue pourquoi il est en enfer – parce qu'il a traité sa femme de façon abominable. Il rentrait ivre soir après soir, empestant le vin et le parfum, et lançait des insultes à sa femme, qui ne lui adressait jamais le moindre reproche. Il a même fait venir chez eux une autre femme alors que sa femme dormait à l'étage. “Ma femme couchait au premier, elle devait nous entendre. Elle se levait la première et, comme nous faisions la grasse matinée, elle nous apportait le petit-déjeuner au lit.”.

Inès raconte ensuite sa propre histoire. Elle était partie vivre avec son cousin et sa femme Florence. Peu à peu, elle est tombée amoureuse de Florence et a commencé à détester son cousin. Les deux femmes sont parties ensemble et ont emménagé à l'autre bout de la ville. Peu de temps après, le cousin a été écrasé par un tramway. Inès raconte : “Je lui disais tous les jours : Eh bien, ma petite ! Nous l'avons tué. Je suis méchante.”. Florence et elle ne seront que momentanément heureuses: “Six mois durant, j'ai flambé dans son coeur ; j'ai tout brûlé. Elle s'est levée une nuit ; elle a été ouvrir le robinet du gaz sans que je m'en doute, et puis elle s'est recouchée près de moi. Voilà.”.

Inès et Garcin poussent alors Estelle à révéler son passé. L'homme au visage troué qu’elle a confondu avec Garcin était son amant. Il voulait qu’elle parte avec lui, mais il était pauvre. Le mariage d'Estelle lui assurait la richesse et elle n'était pas prête à s'en séparer. Lorsqu'elle est tombée enceinte du jeune homme, elle est partie en Suisse, loin de son mari qui ne se doutait de rien. Le jeune homme est ravi de la naissance de l'enfant mais Estelle ne restera pas longtemps mère. Devant les yeux horrifiés de son amant, elle laisse tomber le bébé du haut d'un balcon, dans le lac en contrebas. Elle retourne ensuite auprès de son mari à Paris qui n'en saura rien. Le jeune homme, dévasté, se suicide.

Inès s’exclame: “Eh bien, Garcin ? Nous voici nus comme des vers ; y voyez-vous plus clair ?”. Garcin n'en est pas sûr, mais suggère que tous trois essaient de s'entraider, maintenant que leurs passés ont été révélés. À ce moment-là, la vision d’Inès s'estompe et ses derniers liens avec la Terre sont coupés. Elle ne peut plus contempler le monde des vivants. Garcin propose d'aider Inès, la prévient qu'Estelle est destinée à être sa tortionnaire, mais Inès semble avoir perdu tout espoir: “Croyez-vous qu'ils n'ont pas prévu vos paroles ? Et qu'il ne s'y cache pas des trappes que nous ne pouvons pas voir ? Tout est piège. Mais qu'est-ce que cela me fait ? Moi aussi, je suis un piège. Un piège pour elle. C'est peut-être moi qui l'attraperai.”. Inès se retourne contre Garcin, affirmant qu'elle va faire en sorte qu'Estelle le voie à travers ses yeux, “comme Florence voyait l’autre.”. Les sentiments qu'elle éprouve pour Estelle se heurtent à Garcin, le seul homme présent dans la pièce, et ses mots résonnent de la douleur de l'amour rejeté.

Estelle raconte une vision qu'elle a, une scène du monde des vivants. Olga danse avec Pierre, un homme qui est amoureux d'Estelle. Olga raconte à Pierre le passé de son amie, la Suisse, le bébé. Pierre ne semble pas surpris. Très vite, le lien d'Estelle avec la Terre se dissout également. Elle supplie Garcin de la prendre dans ses bras.

Inès lui adresse des mots de tendresse et d'affection. Estelle se moque de ces avances et finit par cracher au visage d'Inès. Garcin, conscient de la douleur qu'il peut causer à Inès, accepte les supplications d'Estelle et admet qu'il la désire. Inès est obligée de regarder, et Garcin se moque d'elle en lui faisant miroiter la possibilité de faire l'amour avec Estelle sous ses yeux effarés. En un instant, cependant, quelque chose change chez Garcin. Il semble plus sérieux, plus inquiet. Il exige qu'Estelle lui fasse confiance.

Puis il révèle la vraie nature de ses principes. Lorsque la guerre a éclaté, il avait trop peur de rester chez lui et de s'y opposer de là-bas. Au lieu de cela, il a souhaité fuir au Mexique et lancer un journal pacifiste. Il a été attrapé alors qu'il essayait de traverser la frontière en train. Était-il un lâche ? Il contemple Gomez et ses compatriotes, qui sont d'accord entre eux pour déclarer qu’il en est un.

Estelle réconforte Garcin : “J'aime les hommes, Garcin, les vrais hommes, à la peau rude, aux mains fortes. Tu n'as pas le menton d'un lâche, tu n'as pas la bouche d'un lâche, tu n'as pas la voix d'un lâche, tes cheveux ne sont pas ceux d'un lâche. Et c'est pour ta bouche, pour ta voix, pour tes cheveux que je t'aime.”. Garcin est plein de joie ; les paroles d'Estelle le rassurent. Mais Inès s'empresse d'intervenir, prétendant que la jeune fille ne pense pas un mot de ce qu'elle dit et que Garcin est bien naïf de la croire. Inès prend le dessus de la situation. Estelle fait le mauvais choix en essayant de convaincre Garcin que tout cela n'a pas d'importance : “Même si tu étais un lâche, je t'aimerais, là !”, lui dit-elle. Il est dégoûté et se débat pour ouvrir la porte du salon dans lequel ils sont coincés. Dans certaines des répliques les plus glaçantes de la pièce, il crie à l'aide, implore à la pitié, cherche désespéremment la liberté :

“Ouvrez ! Ouvrez donc ! J'accepte tout : les brodequins, les tenailles, le plomb fondu, les pincettes, le garrot, tout ce qui brûle, tout ce qui déchire, je veux souffrir pour de bon. Plutôt cent morsures, plutôt le fouet, le vitriol, que cette souffrance de tête, ce fantôme de souffrance, qui frôle, qui caresse et qui ne fait jamais assez mal.”.

Soudain, la porte s'ouvre. Et pourtant, au moment où l'évasion est enfin possible, Garcin ne peut pas bouger. Il reste sur place. Je ne m’en irai pas.”, dit-il. Estelle lui propose de pousser Inès dehors. Inès plaide pour rester dans la pièce et Garcin explique que c'est à cause d'elle qu’il souhaite rester. Elle est celle qu'il doit convaincre, celle qui connaît le mieux la cruauté et la faiblesse, celle qui peut voir à travers lui, et donc celle dont le jugement lui importe le plus.

Inès, cependant, refuse de se plier à Garcin. Quand il soutient qu'il ne peut pas être un lâche, qu'il est simplement mort trop tôt, elle répond : “On meurt toujours trop tôt - ou, trop tard. Et cependant la vie est là, terminée : le trait est tiré, il faut faire la somme. Tu n'es rien d'autre que ta vie.”. Garcin se venge en s'apprêtant à embrasser Estelle mais ne peut passer à l'acte. De rage, Estelle poignarde Inès avec un coupe-papier. Les personnages reconnaissent qu'ils sont morts et condamnés à rester ensemble. “Eh bien, continuons”, dit Garcin.

Analyse

Huis clos offre un condensé de l'existentialisme de Sartre dans la célèbre phrase d'Inès : “Tu n'es rien d'autre que ta vie.”. La pièce se termine par la prise de conscience – ou plutôt la confession – des personnages qu'ils sont effectivement morts et piégés : “Morte ! Morte ! Morte ! Ni le couteau, ni le poison, ni la corde. C'est déjà fait, comprends-tu ? Et nous sommes ensemble pour toujours.”. Avant ce moment culminant, Estelle les a détournés de l'utilisation du mot ‘mort’, lui préférant le terme ‘absent’. Avec ces trois mots – ‘vie’, ‘mort’ et ‘absent’ – Sartre façonne une vision du monde particulière.

Si la mort est ce qui suit la vie, où se situe précisément la limite entre l'une et l'autre ? Estelle note, pour défendre son refus d'utiliser le mot ‘mort’, qu'elle s'est rarement sentie aussi vivante que maintenant. Elle suggère que ce que le public regarde est lui-même une absence. Tout comme le cadre d'une image vide, la pièce de Sartre fournit une scène à des personnages qui, pour ainsi dire, n'existent pas.

À maintes reprises, Garcin, Estelle et Inès s'efforcent d'atteindre le monde des vivants, qu'ils ont laissé derrière eux. Estelle observe Olga et Pierre avec dégoût, tandis que Garcin décrit Gomez détruisant sa réputation sous ses yeux impuissants. Mais à un moment donné, le lien entre chaque personnage et son ancien monde se dissout. Inès décrit ce sentiment en ces termes : “Je ne peux plus les voir. Qu'est-ce qu'ils chuchotent ? Est-ce qu'il va la caresser sur mon lit ? Elle lui dit qu'il est midi et qu'il fait grand soleil. Alors, c'est que je deviens aveugle. Fini. Plus rien : je ne vois plus, je n'entends plus. Eh bien, je suppose que j'en ai fini avec la terre.”.

En raison des limites de la scène, nous restons enfermés dans le salon du Second Empire, incapables de voir ce que les personnages prétendent voir ; ces images du monde sont réduites à des composantes textuelles. Lorsque le texte est contraint de ne rien décrire, il recourt au champ lexical de l'absence : silence, noirceur, obscurité. Le vide, comme la mort, est insondable, et ne peut être représenté par le langage. L’inadéquation du langage est une démarche délibérée de l'auteur. Dans une brillante subversion de la technique théâtrale, Sartre reprend la convention de l'action ou de l'événement hors scène (une caractéristique du théâtre grec antique, par exemple, dans lequel toute mort devait se produire hors scène et était communiquée au public par le récit de l'événement par un personnage) et l'utilise pour donner une présence à ce qui est absent. Estelle, Garcin et Inès sont eux-mêmes des spectateurs. La théorie du miroir imaginaire de Christian Metz, bien qu'habituellement appliquée à l'écran, peut ici décrire la construction scénique que Sartre établit, par laquelle un monde est reflété et réfracté par un autre.

“Je donnerais tout au monde pour revenir sur terre un instant, un seul instant, et pour danser.”, s'écrie Estelle au moment de sa propre dissociation. “Je n'entends plus très bien. Ils ont éteint les lampes comme pour un tango ; pourquoi jouent-ils en sourdine ? Plus fort ! Que c'est loin ! Je ... Je n'entends plus du tout. Jamais plus. La terre m'a quittée.”. Plus tard, Garcin offre sa propre version de l'expérience : “Je ne les entends plus, tu sais. Ça veut probablement dire qu'ils en ont fini avec moi. Pour de bon. Le rideau est tombé, il ne reste plus rien de moi sur terre - pas même le nom de lâche.”. L'allusion au rideau n'est pas anodine : Sartre truffe sa pièce de références à la scène, un mode de conscience de soi qui traverse toute l'œuvre et culmine dans l'explosion d'Inès : “Eh bien, qu'attends-tu ? Fais ce qu'on te dit, Garcin le lâche tient dans ses bras Estelle l'infanticide. Les paris sont ouverts. Garcin le lâche l'embrassera-t-il ? Je vous vois, je vous vois ; à moi seule je suis une foule, la foule. Garcin, la foule, l’entends-tu ?”.

En un sens, Inès s'adresse directement au lecteur ou au spectateur, criant à la manière brechtienne que “ceci est une pièce” et ouvrant la voie au théâtre de l'absurde de Beckett. Il est certain que Fin de partie, avec sa vision de ce qui ressemble aussi à une version de l'enfer, et En attendant Godot, avec ses personnages piégés dans une prison de leur esprit, doivent beaucoup à Huis clos. La vie, la mort et l'absent sont des termes ambigus. Ce qui est absent est présent ; ce qui est mort reste vivant.

Le temps est également en mouvement. Au début de la pièce, Garcin mentionne qu'il est mort depuis un mois. Plus tard, il dit que cela fait six mois. Quand on lui demande si sa femme est morte, il répond : “Elle est morte tout à l'heure. Il y a deux mois environ.”. Sartre suggère que le plan temporel sur lequel opèrent ses personnages est distinct du nôtre, de celui du monde vivant ; un mois peut passer en quelques minutes, une journée peut défiler en un instant. En revanche, il ne s'agit pas d'un modèle de science-fiction où le temps serait suspendu et les dimensions séparées, mais d'une ambiguïté perpétuelle. Sans fenêtre ni porte, qui sait quand le jour se termine et quand la nuit commence ?

Estelle pousse l'ambiguïté à son paroxysme lorsqu'elle déclare : “quand je ne me vois pas, j'ai beau me tâter, je me demande si j'existe pour de vrai.”. Lorsqu'Inès s'offre comme miroir, le problème de l'identité dans un monde sans reflet est cristallisé : si une personne ne sait pas à quoi elle ressemble, comment peut-elle être certaine qu'elle n'est pas quelqu'un d'autre ? C'est l'image que nous avons de nous-mêmes qui nous sépare des autres. Ce qui nous terrifie le plus, c'est ce qui n'a pas d'image. L'absence d'image dénote une absence d'identité. Sans identité, que devient l'existence ? Et, dans un modèle existentialiste, sans existence, que devient tout ?

Les questions se multiplient sans fin. C'est une des particularités de la pièce que de susciter autant de spéculations, au-delà de la philosophie existentialiste. Une pièce sans miroir, sans temps, sans vie, pose un problème qui ne peut être résolu, un paradoxe qui doit être affronté – tout comme les personnages doivent affronter leurs propres démons intérieurs, leur propre passé, leur propre enfer. “l'enfer, c'est les Autres !” s'écrie Garcin. Lorsque l'identité s'effrite et qu'un visage devient indiscernable d'un autre, l'autre se dissout. L'enfer est alors, par nécessité, soi-même.

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